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LIBRETO, dédié aux ouvriers pour accompagner leur reconquête des installations industrielles abandonnées, il peux être chanté a cappella ou être accompagné de bruits de machines d'usine, de bruits de fond, de brass – band de la ville, d'harmonica et des s




YEAR OF PRODUCTION: 2015.

TRANSLATION BY: Nika Cohen

COPYRIGHT NOTICE: all rights reserved









Zagreb - Beograd 2015.


1.

La rumeur s’est propagée, d’un ouvrier à l’autre,

tendrement, comme lorsque l'on se transmet un moineau,

ou une photographie,

ou un verre d'eau,

ou une cigarette.

Attentivement, pour que ni le vent,

ni le temps,

ni les menaces venant des enceintes ne puissent lui nuire.

La rumeur d'un temps,

la rumeur d'un endroit,

la rumeur d'un futur.

La rumeur dont le futur est incertain.

La rumeur s’est propagée qu’il est toujours possible d'ouvrir les portes et d’entrer,

la rumeur donnant le droit de s’immiscer a l'intérieur de l'usine.

Que les machines, même froides, restent toujours en vie,

et qu'elles nous appellent pour faire bouger leurs articulations avec nos articulations,

pour faire le mouvement ensemble et pour finir nos phrases en un seul souffle.

La rumeur s’est propagée que les machines jurent de ne plus s’arrêter,

que les tapis roulant circuleront de nouveau,

qu'elles tiendront un quatrième et un cinquième service,

qu'elles ne nous décevraient plus jamais,

et qu'elles n'appartiennent qu'à nous,

comme de gentils animaux.

Comme les plus fidèles des amis.

La rumeur s’est propagée et a réveillé chacun d’entre nous

lorsque assis dans la cuisine sobre,

nous étions aveuglés par la lumière du jour que nous ne reconnaissions pas,

puisque nous avions l'habitude de sortir lorsque l'aube ressemble encore a la nuit,

et de revenir lorsque la nuit ressemble déjà a l'aube.

Les heures de travaille de tous les ouvriers,

les heures des ouvriers.

La rumeur s’est propagée et nous a fait lever la tête lorsque

muets dans les salles d'attente nous faisions la queue pour obtenir les diagnostiques,

sans connaitre le protocole d'attente, de diagnostiques, de thérapie, d'espoir,

puisque nous traversions la vie ensemble, en se passant la main sur l'épaule

et en piétinant de nos chaussures d'ouvriers le désespoir d'incertitude,

jusqu'à ce que la chaussure ne se révolte et se désintègre,

et que le désespoir d'incertitude ne se transforme en vacances d'été collectives.

La rumeur s’est finalement propagée pendant que nous calculons sans nous tromper

à travers les rayons des super-méga-maxi- marchés

la différence qu'il y a entre le possible et le nécessaire,

la différence qui est toujours en faveur du possible et qui ne couvre jamais le nécessaire.

En faisant les additions nous nous croisons entre les rayons avec le goût de l'échec,

en reconnaissant dans les yeux de l'autre le résultat final du désespoir

dont la devise est l'indigence.

Les machines nous appellent comme les Sirènes.

Elles nous chantent les chants de l'unité ouvrière.

Elles nous murmurent le mantra de tout ce que nous avons manqué.

Et elles nous disent que tout va bien se passer

si nous sortons de nos cuisines,

si nous quittons les salles d'attente,

si nous sautons par-dessus les rayons des super-mega-maxi marchés

et que nous revenons à l'endroit que nous ne pouvons pas oublier,

et dont nous rêvons lorsque nous ne rêvons pas de voler en avion,

l'endroit qui nous appartiens et auquel nous appartenons.

La rumeur s’est propagée que nous devons nous comporter

comme si tout allait bien,

que nous ne devons pas attirer l'attention inutilement

que nous devons marcher d'un rythme modéré sans trop bouger les bras,

et ne pas se mettre à courir tous en même temps.

Que nous devons doucement et avec une claire intention nous diriger vers le but,

et lorsque nous arrivons au but nous devons nous prendre par la main,

ou nous nouer les poignés pour faire un mur humain,

ou serrer nos corps pour former une boule de démolition.

La rumeur s’est propagée que nous savons tous, quel est notre but

et que nous devons nous y diriger lorsque le premier d’entre nous se met à avancer,

lorsque nous ressentons le début de mouvement du corps collectif

lors d'un après-midi d'été ou d’un matin d'hiver sans nuages.

Le cortège va se former doucement,

comme dans une publicité pour une boisson rafraichissante,

le cortège avec le même but et la même idée.

Ceux qui se sont dirigés vers leurs maisons, vont désormais nous suivre.

Ceux qui ne savent pas où aller, vont être les bienvenus.

En se croisant nous nous reconnaitrons et nous nous ferons un signe de tête,

comme un ouvrier à un autre ouvrier, les poings fermés

mais doux envers les oiseaux et la rumeur qui se propage.

Nous allons marcher vers le but avec la certitude

que nous avons encore une chance,

que nous pouvons entrer encore une fois par la porte et faire absolument tout

comme jamais auparavant nous n’avons osé faire.

Le vent va nous soutenir en nous soufflant dans le dos.

Nous allons lancer les poings fermés en avant avec le sentiment

d’être puissants à nouveau pour un instant,

que tout est de nouveau comme avant,

que nous empruntons le même chemin qu’avant.

Vingt, trente, quarante ans durant, nous avons dompté les machines,

ces monstres d’acier qu'il fallait nourrir en permanence,

et qu'il fallait amadouer pour qu'ils fassent leur dû

amadouer pour qu'ils ne nous mangent pas le poing, la main, les doigts.

Nous revenons vers la périphérie abandonnée

pour regagner le temps utilitaire.

Nous revenons pour être de nouveau dépendant l'un de l'autre,

avec pour but d'être un corps meilleur, plus grand, plus fort.

mais toujours libres malgré les vibrations des machines.

En marchant ensemble nous rejetons tout ce qui est inutile,

le temps passé, mal utilisé qui a entamé les murs,

le temps lent qui a transformé les machines en éléphants.

Nous rejetons tout ce qui est inutile et qui entrave nos mouvements,

les tramways, les autobus et les rues qui en principe ne mènent nulle part.

Nous contournons les promeneurs qui sont heureux tels qu'ils sont,

en marchant sans cesse en rond en pensant qu'ils avancent.

Quand nous avançons vers l'objet que nous devons mettre entre nos mains,

le ressenti d'avoir quelque chose à perdre diminue.

Nous rejetons tous ce que nous avons porté depuis des jours,

tout le plastique

tout les morceaux de viande sèche,

tout ce qui porte l'empreinte de notre nom.

Peut-être sommes-nous des milliers avec une possibilité de croissance continue.

Peut être nous sommes juste un.

Plus nous nous approchons de but plus nous nous débarrassons de tout ce qui entrave nos membres,

Nous rejetons tout ce qui nous entaille les cuisses et le cou.

Nous nous déshabillons de tout le polyester de monde moderne.

Nous laissons derrière nous les poches des pantalons vides,

les manches des chemises, informes et recouvertes de sueur

et les chaussures en peau de chien usées.

Plus nous nous approchons du but plus nous nous éloignons

de tout ce qu'ils nous proposaient comme mode de vie acceptable,

mode créée selon les nécessités de ceux pour qui ce n’est plus nécessaire.

Les rues sont désormais trop petites pour un millier de nous

mais pour un seul d’entre nous aussi.

Nous pourrions chanter à voix haute,

mais la chanson pourrait dévoiler nos intentions.

Nous pourrions nous encourager mutuellement par les cris,

mais les cris pourraient dévoiler notre but.

Nous marchons en silence et nous nous approchons du but.

Nous ressentons les vibrations des machines qui nous saluent.

Les murs servent aussi de barrières et de protection.

Pendant nos tentatives d’ascension,

ils vont nous écorcher les paumes et les genoux.

Des qu'enfin nous les conquérons,

ils vont nous servir de protection contre le temps qui n'a plus besoin de nous.

Nous arrivons au but.

Nous n'avons plus besoin de personne.

Nous sommes assez nombreux pour changer le futur comme un gant.

Nous arrivons propres et nus pour prendre ce qui nous appartient.

Là, sur les ruines de l'histoire des ouvriers

commence notre danse commune.


2.

S’essuyer les paumes sur les genoux,

comme si vous massez l'endroit endolori avant le saut décisionnaire.

Essuyez les paumes sur les poches vides des fesses plates,

comme pour vérifier si la seuls chose que vous possédez est toujours la.

Regardez vos mains comme si elles étaient une pelle ou une hache ou une pioche.

Regardez vos mains comme si elles étaient les outils inutiles d'hier,

en frottant transformez-les en outil pour aujourd'hui et en résistance pour demain.

Lorsque vous les avez bien essuyées, crachez dans les paumes.

Crachez dans les paumes un filet épais de salive

sur lequel glisseront tout les sentiments,

sur lequel la peur n’aura pas prise.

Avant de serrer la paume en poing

il faut remettre le monde en son état d'origine.

Nettoyer les restes.

Balayer les traces devant l'entrée.

Tailler la haie.

Placer l'accès où il était.

Où l'entrée et la sortie se trouvaient.

Où les arrivées et les départs se déroulaient.

Pour le changement de service, en vélo ou a pied.

Il faut déblayer, ratisser, élargir.

Approchez-vous des bases et ensemble, unis

vérifiez la stabilité de l’installation industrielle.

Essayez plusieurs fois ensemble de faire vaciller les murs.

Au rythme du mouvements des épaves des chantiers de construction navale fermés.

Au rythme du mouvement des lits vides dans les hôtels abandonnés.

Au rythme des éclaboussures des fontaines vides de votre jeunesse.

Vous êtes assez nombreux pour pouvoir utiliser votre nombre comme force.

Évaluez avec précision la force qu'il vous reste après

avoir perdu tout ce en quoi vous avez cru.

Évaluez avec précision les points cardinaux.

En fonction du Soleil, de la Lune et des autre planètes visibles.

En fonction du moment de la journée.

En fonction de la ville.

En fonction des rues que vous avez empruntées.

En fonction de sensation de pression

dans la tête,

dans les mains,

dans les pieds,

dans le ventre.

En fonction du fait que tous les matins, que tous les matin, que tous les matins.

En fonction du fait que tous les matins vous avez emprunté le même chemin, puis plus rien.

En fonction du sentiment erroné selon lequel le chemin semblait plus court avant.

En fonction du sentiment subjectif selon lequel les rues étaient plus petites.

En fonction du ressenti physique selon lequel la pente est maintenant plus abrupte,

alors que vous êtes juste plus âgés.

En fonction des douleurs aux pieds, des crampes aux mains,

de la rigidité de cou et de la raideur de dos.

En fonction des os brisés, des rotules usées, des doigts coupés, des ongles cassés.

En fonction de l'acidité dans le ventre, de l'air aux poumons, des calculs rénaux.

En fonction d’un virus nommé travail avec lequel vous vivez maintenant

si vivre des souvenirs est possible.

En fonction des souvenirs qui ne sont plus les vôtres.

En fonction du travail qui n'existe plus.

En fonction du virus qui lui, est resté.

En fonction de la mémoire collective qui ressemble a une maladie.

En fonction de la maladie qui est la seule a s'occuper en vous constamment.

En fonction du simple fait de la mort.

En fonction des murs perméables.

En fonction de la poussière de briques rouges que le vent du sud n'a pas éparpillée partout.

En fonction de la poussière métallique que le Mistral n'a pas envoyée dans les yeux des marins.

En fonction des vibrations des machines.

En fonctions des vibrations dans vos muscles qui y resteront pour l'éternité.

En fonction des érections des ouvriers en service le matin.

Après avoir déterminé les points cardinaux,

regardez bien ce qui se trouve devant vous.

C'est toute votre vie réduit à la forme la plus simple.

Ce sont les murs du Temple de votre dévouement ouvrier.

Les restes archéologiques de votre foi pour le travail et de vos seuls savoir-faire.

En tant que collectif vous allez reprendre tout ce qui vous appartient,

indépendamment des point cardinaux,

des cycles lunaire,

ou des marrées.

Vous allez vous réapproprier tout ce qui était un instant perdu,

privatisé, vide, détruit.

Évaluez avec précision la force qui vous reste.

Tendez-vous les mains pendant que debout vous vous attendez et vous soutenez les uns les autres.

Comptez pour avoir le rythme nécessaire à l'élan.

Inspirez sur chaque chiffre pair,

Expirez sur les chiffres impairs.

Votre force n'a jamais été aussi importante et nulle simultanément.

Placez-vous dans la position d'un ouvrier qui réclame ses droits.

Faites quelques pas en arrière.

Regardez à droite à l'unisson et sans détermination.

Regardez à gauche comme si vous saviez où regarder.

Faites quelques pas en avant.

Remuez vos omoplates comme si c’était des ailes.

Sur vos épaules il n'y a rien ni personne.

Vous êtes nus et libres.

Vous êtes venus prendre ce qui vous appartient.

Levez haut les têtes, comme si elles n’en formaient qu’une seule.

L’objectif est devant vous et vous n'avez plus rien à perdre.

Votre corps collectif a un but.

Votre but est plus important que votre corps.

Personne n’est inutile et chacun est nécessaire.

Appelez ça comme vous voudrez mais n'abandonnez pour rien.

Utilisez votre propre corps comme si ce n'était qu’un corps.

Appelez ça comme vous le souhaitez mais n'abandonnez pour rien.

Tendez vos corps avec la force que vous avez connue d'antan,

la force suffisante pour qu'un collectif finisse le service

avant que les sirènes ne sonnent la fin de la journée de travail.

Levez les mains au niveau des épaules.

Posez les mains sur le dos l'un a l'autre.

Écartez légèrement vos jambes et sentez le poids du corps.

Appuyez les pieds dans le béton pour évacuer le vide du temps.

La poussière est votre alliée,

les mousses sont votre guide,

du chaos vers un temps utilitaire.

Vous savez qu'il n'y a pas de monde meilleur que celui-là.

Vous vous agitez doucement, conscients que vous portez la force.

Vous vous agitez doucement comme la mer oubliée.

Les murs vous chantent des chants de bienvenue.

Tout ce que vous avez fait à présent devient une chanson.

Les échos des machines deviennent une symphonie imprimée dans les briques.

Les portes d'industrie s'ouvrent à votre force collective.

Vous regardez votre passé de prolétaire gravé dans les murs.

À l’intérieur vous attendent les fauves apprivoisés

qui ne reconnaissent que votre voix.

Lorsque vous sentez qu'il est temps que le corps collectif se lance,

faites un signe de tête l'un l'autre.

Appuyez plus fort le dos de votre camarade.

Sifflez la mélodie bien connue de tous.

Si vous avez eu l'intention de commencer lentement,

rejetez la retenue et la contrainte.

Tendez les muscles extenués.

Utilisez les articulations usées.

Aidez ceux qui vous semblent trop faibles.

Formez le corps déterminé,

celui que vous avez toujours été.

Au moment ou vous reconnaissez le klaxon d'une automobile,

ou le cri de mouette,

ou le bruit des casseroles

comme signe de départ,

partez!

Courez les bras ouverts.

Courez comme si vous couriez vers la mer.

Courez en hurlant comme les machines.

Courez et traversez les murs avec conviction.

Courez en faisant attention l'un à l'autre.

Courez comme si vous étiez en retard au travail.

Pénétrez dans le couloir et laissez la voix se mélanger avec l'écho.

C'est l'écho qui va vous diriger vers votre place.

Lorsque vous y entrez, jamais personne ne pourra vous en sortir.

Depuis toujours, vous êtes ici chez vous.

Les murs sont à vous.

Les sols sont à vous.

Les trous dans le toit sont à vous.

Les dépôts sombres cachant des amours interdits

n’appartiennent à personne d'autre que vous.

C'est vous qui décidez à quoi la fin des temps va ressembler.

C'est vous qui décidez a quoi la fin du travail va ressembler.

Que la fête ouvrière commence.


3.

Que le dernier ferme la porte.

Personne ne peut plus entrer ni sortir.

Nous qui sommes là, allons y rester.

Nous n'avons pas besoin de témoins ni de suiveurs.

Les murs se rappellent de toutes nos victoires.

Unissons-nous de nouveau.

Il faut nettoyer les restes.

Balayer les sols.

Laver les vitres.

Gratter le plâtre au dessus de chaque brique,

brique par brique.

Brosser avec une brosse métallique.

Les restes de poussière et de bruit.

Brique par brique,

démonter l'immeuble,

puis le monter à nouveau,

brique par brique,

un nouvel immeuble pour les nouveaux ouvriers.

Regardons nos nouveaux murs.

Regardons-nous, ouvriers,

et avant de démarrer les machines,

posons pour la photographie destinée au futur.

Ouvriers, retenons notre respiration pour la photographie

et retenons-la dans nos cœurs.

Que cela dure aussi longtemps qu’il faut pour une allumette de brûler.

Cette représentation de nous en train de disparaître,

est la manière dont on va se rappeler de nous à jamais.

Saluons les nouvelles générations et démarrons les machines.

Ouvriers, soyez doux envers les machines.

Ainsi les fauves resteront cléments envers nous,

et envers notre dernière grande mission,

où nous allons leurs offrir les corps pour qu'ils les avalent, les dévorent,

les broient.

N'ayons pas peur de notre dernière grande mission.

Nos corps suent de bonheur.

Nous nous rappelons de chaque victoire,

chaque pause cigarette,

chaque célébration de la Fête de travail.

Il faut démarrer les machines.

Les temps n'ont jamais été pires.

Les temps n'ont jamais été meilleurs.

Il faut démarrer les machines de nouveau.

Il faut nourrir les fauves métalliques.

Laisser le dragon du capitalisme affamé.

Nous entrons dans les mâchoires des machines avec le poing levé.

Nous nourrissons les machines qui nous ont nourris avant.

Nous laissons les machines nous dévorer, nous avaler et nous transformer en nouvelle énergie.

Nous laissons les machines nous transformer en métal pour les hélices des bateaux.

Nous transformer en hélices pour les moteurs de bateaux.

Tous ce que nous avons fait jusqu’à présent est une chanson.