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MON FILS MARCHE JUSTE UN PEU PLUS LENTEMENT – FRANÇAIS

The play deals with the subject of the other; the different, through a possesive relationship of a mother and her seriously ill son. It happens at the sons's 25th birthday celebration during which all the traumas come to light.



YEAR: 2011.

TRANSLATION: NIKA COHEN

COPYRIGHT: ALL RIGHTS RESERVED



 

MIA, 50 ans

BRANKO, son fils, 25 ans

ROBERT, son mari, 50 ans

DORIS, sa fille, 20 ans

ANA, sa mère, 70 ans

OLIVER, son père, 70 ans

RITA, sa soeure, 45 ans

MIHAEL, mari de Rita, 55 ans

SARA, l'amie de Doris i Branko, 25 ans

TIN, l'ami de Doris, 28 ans

 


ACTE I

 

Pénombre.

 

Ana est assise à table. Elle est consciente qu'elle est assise dans la pénombre mais elle ne sait pas pourquoi la lumière n'est pas allumée. Autrefois, elle s'asseyait à table avec les lumières allumées.

 

Mia entre. Elle a en main un sachet contenant deux yogourts. Elle est fatiguée même si elle ne marchait pas d’un pas rapide: elle avançait lentement vers sa maison.

Mia allume la lumière. Elle prend conscience de l'endroit où elle habite et, encore plus fatiguée, s'assoit à côté de sa mère.

 

MIA : Tu étais assise dans la pénombre de nouveau.

 

Silence.

 

MIA : Personne ne t'a allumé la lumière? Tu ne trouvais pas l'interrupteur?

 

Silence.

 

MIA : Il est juste à côté du réfrigérateur, c'est là qu'on allume la lumière.

 

ANA : Je fais des économies.

 

MIA : Ce n'est pas bien de rester dans la pénombre.

 

Silence.

 

MIA : Il fait beau dehors. Les rues sont bondées de gens, tout le monde est sorti.

 

Silence.

 

ANA : Et Slavko il est où? Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.

 

Silence

 

MIA : Il est mort maman.

 

ANA: Mort? Il est mort. Et Nevio?

MIA : Il est mort aussi. L'année dernière, tu ne pouvais pas assister aux obsèques.

ANA : Et Oliver?

MIA : Il est vivant.

ANA : L’enfoiré!

MIA : Maman...

ANA : J'ai épousé lequel finalement?

 

Silence.

 

MIA : Oliver maman.

 

Ana ne dit rien.

 

MIA : J'ai ramené des yogourts, tu en veux?

 

Ana ne dit rien.

 

MIA : Tu n'as rien mangé ce matin.

 

Ana ne dit rien.

 

MIA : Mange au moins un yogourt. Tu veux, hein? Un yogourt?

 

Ana ne dit rien.

 

MIA : Alors marche un peu maman. Il faut que tu marches, le médecin l'a dit. Allez, tu vas te sentir mieux.

 

Ana se lève et commence à marcher. Doucement.

Robert entre.

 

ROBERT : Bonjour.

 

Silence.

 

MIA : Je suis désolée d'avoir pleuré hier soir.

 

Silence.

 

ROBERT : Je vais acheter le journal.

 

Robert sort et claque la porte.

 

ANA : C'était Viktor?

MIA : Non. C'était Robert, mon mari.

ANA : L’enfoiré.

MIA : Maman...

ANA : Et où est Viktor?

MIA : Il est mort.

ANA : Mort? Il est mort. Et Antoine?

MIA : Il est mort.

ANA : Goran?

MIA : Il est mort.

ANA : C'était un incendie ou quoi?

MIA : Non maman. Tu es juste vieille. C'est tout.

 

Ana se souvient qu'elle est vieille.

 

MIA : Allez maman, marche un peu. Il faut que tu marches, les médecins l'ont dit. Tu vas te sentir mieux.

Ana marche. Comme une vieille.

Doris entre dans la pièce.

 

DORIS : Branko dort toujours?

MIA : Oui.

DORIS : Sois gentille aujourd'hui.

MIA : Doris...

DORIS : S'il te plaît maman. Où est papa?

MIA : Il est sorti.

DORIS : Je vais le rejoindre, j'ai besoin d'argent.

MIA : Si tu veux le petit-déjeuner...?

 

Silence.

 

DORIS : Le petit-déjeuner?

 

Le petit-déjeuner?

 

MIA : Oui, si tu veux. Si tu as faim?

DORIS : Quoi?

 

Quoi?

 

MIA : Il y a du yogourt.

 

Yogourt?

 

DORIS : Je vais prendre un café dehors. Attends...

 

Doris s'approche de sa mère. Il y a longtemps qu'elle ne s'est pas autant approchée d'elle.

 

DORIS : Tu as les yeux sales. Il t'en reste un peu de ce matin, attends...

 

Doris lui essuie l'œil.

 

DORIS : Voilà.

MIA : J'imagine que je ne me suis pas bien lavée le visage ce matin.

DORIS : Tout est propre maintenant. Et moi?

 

Mia regarde les yeux de Doris.

 

MIA : C'est bon.

DORIS : Je suis belle?

Silence.

 

DORIS : Voilà, maintenant on est belles toutes les deux. Toutes les trois. Et Branko aussi, bien sûr, Branko aussi. Il a les plus beaux yeux. A tout à l'heure. A tout à l'heure mamie.

 

Oliver entre dans la pièce.

 

DORIS : A tout à l'heure papi.

OLIVER : A tout à l'heure ma petite.

 

Doris sort de la pièce.

 

MIA : A tout à l'heure.

 

Silence.

 

OLIVER : Je vais à la bibliothèque lire les journaux.

MIA : Robert est parti les acheter.

OLIVER : Ça ne fait rien, je préfère aller lire là-bas, au calme.

ANA : Tu lis lentement parce que tu es bête.

 

Silence.

 

OLIVER : A tout à l'heure.

MIA : A tout à l'heure papa.

 

Oliver s'en va.

 

ANA : L’enfoiré. J'ai failli me marier avec lui.

 

Silence.

MIA : T'es fatiguée?

ANA : Fatiguée?

MIA : A force de marcher?

ANA : Non.

MIA : Assieds-toi, dès que tu te sens fatiguée.

 

Ana s'assoit.

Mia est Ana sont assises. Pour un instant l'on ne sait plus qui est la plus vieille de deux.

 

MIA : Il a du se réveiller déjà.

ANA : Laisse le dormir.

MIA : Je le laisse dormir.

 

Silence.

 

ANA : J'aimerais juste qu'il tombe amoureux.

 

Elles ne disent rien.

 

MIA : Tu veux manger? Tu n'as rien mangé de la matinée.

ANA : Je fais des économies.

 

Elles restent ainsi, assises à la table vide. Avant cette table était pleine. Mais depuis un moment les gens n'ont plus faim dans cette maison. Où ils n'ont simplement rien à manger.

 

Branko entre dans la pièce. Il se déplace en fauteuil roulant. Il avance doucement.

 

BRANKO : Bonjour.

 

Silence.

 

MIA : Bonjour!

BRANKO : Qui m'a éloigné le fauteuil du lit?

 

Silence.

 

MIA : Je ne sais pas.

ANA : C'est peut-être le courant d'air qui l'a fait bouger?!

 

Silence.

 

MIA : La prochaine fois appelle-moi pour que je t'aide, ce n'est pas un problème pour moi.

 

Mia embrasse Branko.

 

BRANKO : A la radio ils disent qu'il fait beau aujourd'hui. Comment te sens-tu ce matin, mamie?

ANA : Comme une vieille tiens!

BRANKO : Vous auriez pu ouvrir les fenêtres pour laisser entrer un peu de soleil.

MIA : Je vais ouvrir.

 

Silence.

 

MIA : Il y a un yogourt!?

 

Silence.

 

BRANKO : Je n’en veux pas.

 

Silence.

 

ANA : Ta maman a mis toute une journée à te mettre au monde.

MIA : Tu étais un bébé têtu. J'ai poussé, mais tu ne voulais pas sortir.

ANA : On t'a attendu longtemps.

MIA : Il fallait que je marche, je faisais des petits pas dans le couloir de l'hôpital. Les médecins me disaient: marchez, vous devez vous ouvrir, marchez. Il faut marcher.

ANA : Tu étais un beau bébé. Dommage.

 

Silence.

 

BRANKO : Je vais dans le parc.

MIA : Tu veux que je t'emmène?

BRANKO : J'y vais seul. Et ouvrez les fenêtres.

MIA : Reste à l'ombre!

 

Branko sort.

Pendant un moment Ana et Mia ne disent rien. Elles ont oublié quelque chose.Mia se rappelle soudainement, se lève et court vers la porte.

MIA : Et joyeux anniversaire!

 

Branko ne l'a pas entendue.

Mia ouvre la fenêtre.

 

MIA : Joyeux anniversaire! Joyeux anniversaire!

 

Branko ne l'entend pas.

 

MIA : J'ai accouché hier et aujourd'hui il a vingt cinq ans. Vingt-cinq c'est la moitié de cinquante, et cinquante c'est la moitié de cent, et cent c'est l'éternité. Ça m'énerve que la maladie lui ait tombé dessus, ça m'énerve vraiment. Je ne sais toujours pas quoi lui acheter. On a payé super cher le fauteuil roulant. Si seulement il n'était tombé malade que  maintenant, j'aurais pu lui offrir le fauteuil aujourd'hui. Il aurait souri et aurait dit:" merci j'avais vraiment besoin de ça, maintenant je peux aller au parc, faire un tour, jurer puis nourrir un peu les pigeons".

ANA : J'emmerde les pigeons, ils n'ont pas besoin de jambes; ces enfoirés ont des ailes!

 

Silence.

 

MIA : Allez maman, marche. Le médecin a dit qu'il faut que tu marches. Allez, c'est bon pour la santé.

 

Ana marche.

 

ANA : J'aimerais juste qu'il tombe amoureux!

 

Rita et Mihael se trouvent devant la porte de la maison. Ils murmurent et jettent des coups d'œil à l'intérieur.

Rita tient à la main des cordelettes auxquelles sont attachés une dizaine de ballons de toutes les couleurs.

RITA : On ne reste pas longtemps, d'accord?

MIHAEL : J'aimerais bien t'attendre dehors.

RITA : Tu ne peux pas, il faut lui souhaiter joyeux anniversaire, c'est le minimum. On ne va pas rester longtemps, fais-moi confiance, je ne vais pas te trahir. Je sais que c'est difficile pour toi. Lorsque j'ai dit à mes parents qu'on va se marier, ma mère a vomi. C'était étrange de voir le vomi de pomme de terre et de viande de sa propre mère.

MIHAEL : Elle ne m'a jamais aimé.

RITA : Jamais! D'ailleurs elle te déteste! Pourquoi te voiler la face!? T'es adulte. Elle n'est pas la seule à te détester. Mon père te méprise aussi. J'étais une fille intelligente, et toi vendeur de vêtements pour femmes.

MIHAEL : Il m'a serré la main très fort au mariage.

RITA : Il était déjà complètement bourré à ce moment-là. On y va. On ne reste pas longtemps.

MIHAEL : On ne reste pas longtemps?

RITA : On ne reste pas longtemps.

 

Rita et Mihael entrent dans la maison.

 

RITA : Nous voilà!

MIHAEL : Ils ne sont pas là.

RITA : Ils se cachent quelque part.

MIHAEL : Peut-être qu'ils ne sont pas à la maison.

RITA : Il y a quelqu'un? Il y a quelqu'un dans cette maison? Eh oooh? Vous êtes où? Coucoooouuu?

 

Rita et Mihael aperçoivent Mia et Ana.

MIA : Bonjour.

 

Silence.

 

RITA : Bonjour.

MIHAEL : Bonjour.

MIA : Rita.

RITA : Mia.

MIA : C'est gentil d'être venu si tôt.

RITA : On a du boulot cet après-midi, c'est pour ça.

MIA : Vous avez du boulot cet après-midi.

MIHAEL : On ne reste pas longtemps.

 

Silence.

 

MIHAEL : Vous, Ana, vous rajeunissez de jour en jour.

ANA : Fais pas chier.

RITA : Maman... encore des mots désagréables, hein? Et regarde comme tu es belle, viens que je t'embrasse.

 

Rita s'approche de sa mère et l'embrasse sur les cheveux.

 

RITA : Doux Jésus, quand est-ce que tu lui as lavé les cheveux pour la dernière fois?

MIA : Laisse tomber...

RITA : Viens maman, on va se laver.

ANA : Je me suis lavée.

RITA : Pas ce mois-ci maman. Pas celui-ci.

 

Rita et Ana s'en vont. Rita tient toujours les ballons dans la main.

 

MIA : Quel type du boulot vous avez cet après-midi au juste?

MIHAEL : De type urgent.

MIA : Vous ne voulez pas venir à la fête?

MIHAEL : On n'est pas disponibles.

MIA : Tu évites cette maison comme si elle était maudite. Et lorsque je fêtais mes anniversaires tu venais dès fois me regarder pavaner dans la plus belle robe que j'ai pu trouver dans ta boutique.

MIHAEL : Beaucoup de temps est passé depuis.

MIA : Oui et alors? Qu'il passe, ça ne fait rien, tant mieux. Le temps passe parce qu'il est obligé. Il ne peut pas s'arrêter, n'est-ce pas? Il ne peut pas! Je suis toujours une femme attirante, les hommes me sourient toujours dans la rue. Tu penses aussi que je suis toujours attirante n'est ce pas?

MIHAEL : Tu rajeunis de jour en jour.

MIA : Fait pas chier.

 

Silence.

 

MIA : Vous allez venir cet après-midi à la fête. Mon fils a vingt-cinq ans et ça se fête.

MIHAEL : Il faut convaincre Rita, elle est fatiguée ces derniers jours.

MIA : Moi aussi je suis fatiguée. Ça bourdonne de fatigue dans mes oreilles. Et je pue. Plus je suis vieille plus je pue. Comme cette maison qui devient une ruine au lieu de devenir un musée.

MIHAEL : Je vais la persuader de venir.

 

Silence.

 

MIA : Et dis à ton fils d'appeler Branko et de lui souhaiter un joyeux anniversaire.

MIHAEL : Je lui ai déjà dit.

MIA : Il n'a pas appelé.

MIHAEL : Il va appeler cet après-midi.

MIA : Comment ça se passe pour lui là-bas?

MIHAEL : Il s'est bien débrouillé.

MIA : Vous vous parlez tous les jours?

MIHAEL : Oui.

MIA : Ça ne doit pas être facile d'être si loin de lui.

MIHAEL : C’est lui seul qui a choisi cette vie.

MIA : Il a une copine ?

 

Silence.

MIHAEL : Oui. Je n’ai pas retenu son prénom.

MIA : Il les change vite…C’est bien, il est jeune.

MIHAEL : Branko va trouver quelqu’un aussi.

 

Silence.

MIA : Dis lui juste qu'il l'appelle. Pour la fête à la maison il y aura trop de vieux, il faut qu'il l'appelle.

MIHAEL : D'accord.

 

Rita et Ana entrent. Rita tient les ballons dans la main.

 

RITA : Il n'y avait pas de shampoing donc je lui ai lavé les dents.

MIA : D'accord, laisse ça.

RITA : Je n'insinuais pas que tu t'en occupes mal ni que tu es paresseuse. C'est juste qu'elle pue. Elle est vieille c'est comme ça. Tu t'en occupes très bien. Maman, qu'est-ce que tu as mangé ce matin?

ANA : Rien.

RITA : Mia, quand même!

MIA : Je lui ai acheté un yogourt, elle n'en voulait pas.

RITA : Maman il faut que tu manges. Tu as faim?

ANA : Oui.

RITA : Tu vois. Donne-moi le yogourt je vais le lui donner.

 

Mia passe le yogourt à Rita.

 

RITA : Ce n'est pas le bon, celui-ci est pour les enfants.

MIA : C'est le seul qu'elle aime.

RITA : Ce n'est plus une enfant. N'est-ce pas maman? Tu n'es plus une enfant.

ANA : Non. Je suis vieille.

Silence.

Rita donne à manger à sa mère, qui n'est plus un enfant.

 

RITA : On a oublié le cadeau. J'ai juste sorti les ballons, je deviens folle, je ne sais plus où est ma tête. Elle est comme ce ballon violet. Mihael, le cadeau est dans la voiture, vas-y.

MIA : Branko n'est pas là.

RITA : Il n'est pas là? Où est-il?

MIA : Il est allé au parc.

RITA : Ah oui? C'est bien que le parc soit juste à côté. Il l'ont bien réaménagé, j'ai vu en passant en voiture. Et ça baise un peu dans votre parc? Le soir dans mon parc, à peine passées dix heures, ils baisent tous. Les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes et les normaux aussi. C'est affreux. Le matin quand je promène le chien je ne peux même pas le laisser chier, il prend tout de suite un préservatif dans ses dents, ce n'est pas bien, il faut faire attention au SIDA. C'est une maladie terrible. Le parc est beau. C'est sûrement agréable de traîner un peu là-bas.

MIA : Oui, c'est ça.

RITA : Ça ne fait rien, on va lui laisser le cadeau. Si on l'appelait maintenant ça lui prendrait au moins une demi-heure de venir. Ce fauteuil, ce n’est vraiment pas pratique. J'en ai justement parlé avec mon fils; je lui ai demandé pourquoi il ne sort plus avec Branko lorsqu'il vient en ville. Il m'a répondu: "maman, j'aime Branko, mais ce fauteuil est très contraignant; je ne suis pas patient et cette chaise est vraiment pénible. Au cinéma, il faut choisir les films avec rampe d'accès, puis les restaurants dans lesquels il y a assez de place entre les tables puis à la fin, faut prendre un taxi, ranger le fauteuil dans le coffre et tout ça coûte cher!

MIA : Il a un meilleur fauteuil maintenant.

RITA : Un fauteuil est un fauteuil, il n’est tout simplement pas pratique. Mon fils m'a dit: "puis il y a tous ces gens qui regardent. Enfin, je regarde aussi ceux qui sont différents de moi, il n'y a rien de mal, les différences attirent le regard. C'était vraiment sympa quand il avait les béquilles. On ne pouvait pas dire s'il s'était cassé une jambe ou s'il marchait juste un peu plus doucement."

MIA : Il ne peut plus marcher avec les béquilles.

RITA : C'est ce que je dis c'est dommage. Lorsqu'on le voyait avec les béquilles on disait: quel bel homme, le pauvre il s'est cassé une jambe mais ça va s'arranger.

 

Silence.

 

RITA : J'espère que le cadeau va lui plaire. Les magasins sont remplis de jolies choses, c'était difficile de choisir. Mihael, va dans la voiture chercher le cadeau.

MIHAEL : Ça serait peut-être mieux si on venait cet après-midi.

RITA : On ne peut pas on a du boulot.

MIA : La fête est l'après-midi.

RITA : On a un boulot urgent. Mihael, vas-y!

MIA : Mihael attend.

RITA : Mia!

MIA : Rita!

MIHAEL : Ne vous disputez pas.

ANA : Fais pas chier toi.

 

Silence.

 

MIA : La fête est cet après-midi et vous allez être présents. Mon fils a vingt-cinq ans et vous allez venir, n'est-ce pas?

 

Silence.

 

RITA : On doit faire plein de choses si on veut arriver à temps pour la fête. Je dois emmener le chat chez le vétérinaire. Il est tout fatigué ces derniers jours, il traîne à la maison j'ai peur qu'il crève. Ces animaux crèvent subitement, leur temps passe différemment que le nôtre et on ne sait jamais quand ils vont crever. On aurait dû acheter un perroquet; ces animaux vivent cent ans, mais on ne peut pas avoir un chat et un perroquet. Et puis ce n'est pas évident si t'achètes un perroquet et que finalement il ne te plait plus. Si après vingt ans tu t'aperçois que le perroquet ne te plaît pas, que ça te plaît pas ce qu'il raconte, ce qu'il a entendu et qu'il répète, qu'est-ce que tu fais? Un perroquet ne s'en va pas, tu ne peux pas le laisser partir par la fenêtre, il a nulle part où aller; on ne vit pas dans une jungle que je sache.

MIA : Je suis sûre que tout ira bien avec le chat.

RITA : Je ne sais pas, on verra. Ça serait dommage qu'il crève. Tu l'as vu, c'est un joli chat de race avec ses trois petits points blancs entre les yeux. S'il crève je ne pourrais plus en trouver un comme ça. Il faut que je l'emmène chez le vétérinaire ce matin puisqu'on doit être là cet après-midi. Un oiseau, ça vit combien de temps? On pourrait acheter un oiseau? Un vert par exemple. On n'a jamais eu un animal de couleur verte.

MIHAEL : On va voir d'abord ce qu'il en est.

RITA : Oui, je suis un peu ridicule là. Peut-être qu'il ne va pas crever de tout. Peut-être qu'il est juste un peu fatigué. Moi aussi je suis fatiguée dès fois et je crois souvent que je vais crever et je suis encore en vie. On y va!

 

Rita et Mihael se lèvent.

 

MIHAEL : On se voit cet après-midi.

MIA : Oui.

RITA : A tout à l'heure maman.

(à Mia)

Lave-la s'il te plaît.

MIA : Au revoir.

 

Mihael et Rita sortent de la pièce. Mia s'assoit à côté de Ana. Cette dernière tient en main les cordelettes avec les ballons.

 

MIA : Il te plaît le yogourt? Tu as encore faim?

ANA : Non.

MIA : T'es sûre?

ANA : Certaine.

MIA : Je vais faire la soupe et ensuite je dois aller acheter le cadeau.

ANA : D'accord.

MIA : Rita a minci, n'est-ce pas?

ANA : Je ne sais pas.

MIA : Si, elle a minci, ça se voit ne mens pas. Ça lui va bien.

ANA : Oui.

MIA : Il est bien Mihael. Ils se supportent bien.

ANA : C'est bien.

MIA : Je sais que tu ne l'as jamais aimé.

ANA : Rita était une fille intelligente.

MIA : Et moi j'étais belle et regarde-moi maintenant maman.

ANA : Ça va encore.

MIA : Rien ne va.

ANA : Mais si...

MIA : Rien ne va.

ANA : J'aimerais juste qu'il tombes amoureux.

 

Silence.

 

MIA : Allez marche un peu maman, le médecin a dit qu'il faut que tu marches. On doit tous marcher un peu, les médecins l'ont dit. Allez lève-toi, on va marcher...

 

Mia et Ana marchent. Ana tient toujours les cordelettes avec les ballons dans la main. L'espace d'un instant, on ne sais plus qui marche plus lentement et on ne distingue plus qui est la mère et qui la fille.


ACTE II

 

Sara et Branko sont assis l'un à côté de l'autre. Sara est assise sur une chaise et Branko dans son fauteuil roulant.

 

Silence.

 

SARA : Merci de me tenir compagnie pendant que j'attends ta sœur.

 

Silence.

SARA : C'est agréable d'attendre comme ça avec toi.

 

Silence.

 

SARA : Désolée si je parle trop.

 

Silence.

 

SARA : Ta sœur est vraiment très gentille. Beaucoup de monde l'aime ce qui n’est pas près de m’arriver. C'est peut-être parce que je ne suis pas aussi jolie qu'elle.

 

Silence.

 

SARA : Et bien quoi? Je ne suis pas belle et je suis assez grande pour le savoir. C'est ainsi. Toi, tu es bien en fauteuil parce que tu ne peux pas marcher.

BRANKO : Tu es belle.

SARA : Et toi tu marches! Tu vois. Ça n'a pas de sens de se mentir. Ne pense surtout pas que je crois être moche. Non. J'ai une jolie bouche, je suis mince et, dès fois sous un certain angle je parais jolie. Quand même, je sais que je ne suis pas assez jolie pour qu'on me le dise et que je ne suis pas assez grande pour pouvoir être top modèle. Et toi, tu ne marches pas assez bien pour pouvoir te passer de béquilles, d'une canne ou d'un fauteuil.

 

Silence.

 

SARA : Certaines filles peuvent être top modèle et d'autres non. Mais elles peuvent toutes devenir médecin si elles travaillent beaucoup, si elles supportent le sang, aiment l'argent et sauver les vies mais il n'y a pas grande chose que tu puisses faire pour devenir plus jolie ou assez grande.

 

Silence.

BRANKO : Doris devrait bientôt être prête.

SARA : Je prépare toujours en avance ce que je vais mettre. Le noir me va bien. C'est étrange comment il existe des couleurs qu'on peut choisir et qui font que nos visages paraissent différents.

 

Ils attendent.

 

SARA : Tu n'as pas beaucoup d'amis. C'est étrange aussi. Plein de fois je t'ai envoyé une invitation sur Facebook et toi tu t'obstines à l'ignorer. Tu ne passes de temps avec personne. On ne peut pas rester seul.

BRANKO : D'où tu le tiens ça?

SARA : On ne peut pas. Comment tu saurais qui tu es s'il n'y avait personne autour de toi? Tu ne peux pas te dire à toi-même bonjour ou bonsoir. Tu dois pouvoir dire à quelqu'un bonjour, et si tu ne le dis à personne comment tu vas savoir que c'est le jour?

BRANKO : Doris!

SARA : Ne la presse pas! C'est bon j'arrête de parler.

 

Silence.

 

SARA : C'est agréable le silence.

 

Silence.

 

SARA : C'est agréable.

Silence.

 

SARA : Allez, je dois te dire encore une chose! Je veux juste dire qu'on ne peut pas être seul et se taire à tout jamais, ce que t'adorerais! Ça ne marche pas! D'accord peut-être que ça peut marcher, je n'ai pas vraiment essayé, je ne suis pas très forte pour ça, mais dans ce cas-là à quoi ça servirait les mots, les lettres, les lèvres, les dents la langue et toutes ces choses si on se taisait!?

BRANKO : Doris!

SARA : Si on était seul, qui t'appellerais!?

BRANKO : Doris!

SARA : Je veux juste que tu me parles! On ne peut pas être seul. Pour qui existeraient les couleurs?! Qui me mentirait en disant que je suis très belle s'il n'y avait personne d'autre!

BRANKO : S'il n'y avait personne il n'y aurait plus de moche ni de beau.

 

Silence.

 

SARA : Ça aurait été dommage de ne plus avoir du Beau.

 

Silence.

 

BRANKO : Doris!

 

Doris entre.

 

BRANKO : Sara t'attend depuis longtemps.

DORIS : Désolée, j'étais au téléphone

SARA : Ce n'est pas un problème pour moi.

DORIS : C'est son anniversaire aujourd'hui, amuse-le.

BRANKO : Doris!

DORIS : Ce n'est pas un secret!

SARA : Je ne savais pas. Je peux t'embrasser alors.

 

Sara embrasse Branko sur les joues. Elle est maladroite, mais l'embrasse longuement.

DORIS : Mon grand frérot a vingt-cinq ans. Je vais t'acheter un joli cadeau; pour l'instant je n'ai pas encore assez d'argent; je n'ai pas encore trouvé papa il court à droite et à gauche depuis ce matin. Sara tu sais qui vient de m'appeler?

SARA : Non. Qui.

DORIS : Tin.

SARA : Tin!?

DORIS : Oui, quelqu'un lui a donné mon numéro. Je n’en reviens pas.

SARA : Ne le fais pas attendre!

DORIS : Je suis désolée, mais je suis peut-être juste un peu heureuse. C'est inconvénient que je sois aussi heureuse, en plus, le jour de ton anniversaire. Désolée! Désolée!

 

Doris sort. Elle est peut-être un peu heureuse.

 

SARA : Moi aussi je suis heureuse.

BRANKO : Pourquoi?

SARA : Pour elle. C'est difficile aujourd'hui de trouver un mec. Il y en a de tout genre. L'autre jour j'étais en ville et je me suis rendue compte qu'ils regardaient mes seins. Tu viens de les regarder toi aussi mais c'est juste parce que j'en ai parlé. Tu es différent. C'est peut-être parce que tu passes beaucoup de temps tout seul. La majorité est intéressée uniquement par le sexe. Tout est sexe. Où que tu regardes, c'est du sexe. On allume la télé c'est du sexe. On achète du pain et c'est du sexe. C'est un peu dégueu autant de sexe. Juste un peu. D'un autre côté on ne peut pas faire sans n'est-ce pas? Sans sexe il n'y aurait pas eu d'enfants donc pas de Monde ni de Terre. Mais c'est un peu crade. Comme certains enfants peuvent être crades! Comme cette terre: elle est un peu dégueue aussi. Je ne t'ai rien acheté pour ton anniversaire!

BRANKO : Ça ne fait rien.

SARA : Je ne savais pas. Sinon j'aurais acheté un cadeau. Pourquoi tu ne m'as pas dit? Ça fait des semaines que je viens chez toi, que je m'assois avec toi et tu ne m'as rien dit concernant l’anniversaire. Tu ne les aimes pas? Je ne les fête pas, moi. Je me cache et j'invente une maladie. Peu de gens se rappellent que c'est mon anniversaire et tout se passe bien. Ça tombe l'hiver pendant la saison de la grippe; c'est très facile de tomber malade et j'ai une faible immunité, qu'est-ce qu'on y peut.

 

Silence.

 

SARA : Je suis vraiment gênée de ne t'avoir rien acheté.

BRANKO : C'est bon.

SARA : Si tu étais sur Facebook j'aurais su que c'était ton anniversaire. Je t'aurais félicité avec plein de points d'exclamation et j'aurais "liké" quelques photos où tu es seul. Ça me met toujours de bonne humeur.

 

Doris entre.

DORIS : Il veut qu'on se retrouve dans un quart d'heure! Je suis vraiment ridicule, en plus ça tombe le jour de ton anniversaire. Branko pardonne-moi s'il te plaît. Vous entendez? Attendez, attendez, maintenant! Les papillons dans le ventre. Ils battent fort, fort, fort, fort. Voilà! Désolée. Mais je vais t'acheter un cadeau, j'en ai trouvé un superbe je dois juste trouver papa avant, il est en vadrouille toute la journée. Un cadeau superbe.

 

Doris sort.

 

SARA : Ta sœur est très belle. J'aime les gens très beaux, je n'ai rien contre. Il y en a de très beaux, de moins beaux et il y en a qui ne sont pas beaux du tout, c'est comme ça. Ta sœur ne m'aime pas, mais ça ne me décourage pas. Même les gens les plus beaux s'ennuient des fois et ont besoin de quelqu'un pour aller au cinéma ou boire un café le jeudi après-midi lorsqu'il pleut. C'est difficile d'être seul et ça arrive souvent. Surtout pour toi. Tu ne peux pas vivre comme ça je te l'ai déjà dit. Viens sur Facebook et tu verras des milliers de personnes seules qui réunissent autour d'elles plein de gens pour ne plus être seules tout en restant isolées. Ainsi on se met à partager des pensées, des idées, des phrases, tout juste pour montrer qu'on est vivant. Tu veux que je t'envoie un "friend request"?

BRANKO : Ce n'est pas la peine.

SARA : Ça t'aidera.

BRANKO : Non.

 

Silence.

 

SARA : C'est con que je ne t'ai pas acheté de cadeau mais je ne savais pas.

BRANKO : Ça ne fait rien.

 

Doris entre. Elle est tellement belle que les autres en sont gênés.

DORIS : Je suis désolée. Si je reste encore une seconde, tous les papillons dans mon ventre vont s'arrêter de battre et je vais tomber, me casser le cou et mourir sur place. Je ne peux pas crever aujourd'hui, c'est ton anniversaire.

 

Doris sort.

 

SARA : Je n'aurais pas dû mettre du gris. Le gris me va pas.

BRANKO : T'es sûre que tu ne veux rien boire?

SARA : Non, merci. T'es si gentil, je suis gênée de ne pas t'avoir acheter un cadeau pour ton anniversaire! Je t'aurais acheté un cadeau, un joli cadeau mais je ne savais pas.

BRANKO : Ça ne fait rien.

 

Silence.

 

SARA : Donne-moi ta main.

BRANKO : Pourquoi?

SARA : Parce que ça ne se fait pas de venir sans cadeau. Ferme les yeux.

 

Sara prend la main de Branko et la met sous sa robe.

 

BRANKO : Tu ne portes pas de culotte.

SARA : Elles ne me vont pas.

BRANKO : Tu n'as pas peur?

SARA : C'est juste ta main.

BRANKO : Tu n'as pas peur de moi?

SARA : Non.

BRANKO : Et maintenant?

SARA : Un peu. J'aime avoir un peu peur. Juste un tout petit peu.

BRANKO : Et maintenant?

SARA : Juste un tout petit peu.

 

Branko sort sa main.

BRANKO : Merci.

SARA : Il n’y a pas de quoi. Si je savais que c'était ton anniversaire je t'aurais acheter quelque chose d'autre.

 

Silence.

BRANKO : Je dois aller aux toilettes.

SARA : Branko dis-moi encore une fois que je suis belle.

BRANKO : Tu es belle.

SARA : Merci.

 

Branko part.

Mia et Robert sont devant la porte de leur maison. Ils oublient souvent que c'est leur maison ainsi que le fait qu'ils soient mari et femme.

 

MIA : Tu ne rentres que maintenant?

ROBERT : Je suis resté un peu en ville. Et toi?

MIA : J'ai fait les boutiques.

ROBERT : Et?

MIA : Je n'ai rien trouvé.

ROBERT : Une chemise peut-être? Ou des chaussures.

MIA : Il a assez de chemises et les chaussures lui durent longtemps.

 

Silence.

 

MIA : Peut-être que tu as raison; peut-être que les chaussures...

ROBERT : Mia s'il te plaît.

MIA : Non, je vais bien. J'étais même de très bonne humeur dans le magasin de Mihael. J'ai acheté une robe. Je te la montre?

ROBERT : Je vais la voir ce soir.

MIA : Le soir tu ne voix pas bien et tu t'endors vite. Je te la montre?

ROBERT : Tu n'as vraiment rien trouvé pour lui?

MIA : Rien.

 

Silence.

 

MIA : Tu pourrais éventuellement faire un tour avec moi dans la rue; les magasins sont pleins de jolies choses. Le fait qu'on vieillisse ne veut pas dire qu'on ne peut pas se tenir par la main, ne serait-ce que pour être sûr que personne ne tombe.

ROBERT : Je suis fatigué.

MIA : Il fait beau dehors; on n'est pas obligé de se tenir par la main, c'est même inutile d'avoir les mains moites. S'il te plaît.

ROBERT : Tu étais toujours meilleure pour choisir les cadeaux.

MIA : Il y a trop de choses dans les magasins, je ne sais plus.

ROBERT : Tiens, prends encore de l'argent.

MIA : Allez, s'il te plaît!

Robert lui donne beaucoup d'argent et s'en va.

 

MIA : Robert attends, Robert!

 

Branko entre.

 

SARA : Je t'aime!

BRANKO : Sara...

SARA : C'est vrai, je t'aime!

 

Silence.

 

SARA : Je n'aurais pas du dire ça, je sais. Mais je t'aime, c'est comme ça et puis c'est tout. Je ne sais pas si je t'aime parce que je t'aime ou parce que je suis amoureuse de l'amour, mais voilà j'ai dit ce que j'ai dit et c'est tout. Je pourrais te tenir dans mes bras toute la journée et rien d'autre ne me serait important. Je t'aime parce que je t'aime et peut être un peu parce que j'aime l'amour. Je ne te couvrirais pas de trop de câlins, juste autant que tu en aurais envie; mais sans interruption. Je suis désolée que tu ne m'aimes pas, mais moi, je t'aime.

 

Sara enlace Branko. De manière maladroite mais continue.

SARA : Je t'aime mais j'ai aussi besoin de toi. Pour que mes journées se passent mieux. Je ne te dis pas ça par égoïsme mais parce que notre monde est comme ça. Sans amour on ne peut pas y arriver, on ne peut pas, j'ai essayé.

Silence.

 

SARA : Ne t'inquiète pas trop maintenant. Tu m'aimeras aussi un jour, tu ne le sais pas encore c'est tout.

BRANKO : Sara...

SARA : Si tu t'ennuies de moi, on arrêtera et je partirai. Je te le promets. On m'a quitté plein de fois. Je saurais comment t'oublier après! Il faut juste beaucoup marcher dans les parcs, respirer profondément, ne pas penser à toi, déchirer les photos de nous deux. Le temps passera et puis je serais bien de nouveau.

BRANKO : Sara, je...

SARA : J'aime chaque bout de ton corps, chaque atome, chaque odeur! Je te dis tout ça pour ne pas empêcher aux choses qui pourraient arriver d'arriver. Plus maintenant! On est devenu paresseux, on ne tombe plus amoureux, et moi je veux être amoureuse de toi et je veux crier "je t'aime"! Voilà, maintenant tu sais que je t'aime, c'est à toi de voir quoi faire avec ça. Je vais venir cet après-midi à la fête pour ton anniversaire. C'est sûr que tu en auras une.

BRANKO : Sara...

SARA : Je sais, je suis un peu fatigante, mais je vais venir cet après-midi dans cette maison. Les gens deviennent très sensibles le jour de leur anniversaire. Ils sont sensibles lorsqu'ils vieillissent. Puisqu'en vieillissant on finit par mourir. Et on vieillit en permanence...

BRANKO : Ça va être une petite fête.

SARA : Ça ne serait pas correcte de faire une grande fête. Je vais mettre ma robe bleue. Parfois le bleu me va bien.

BRANKO : D'accord.

SARA : Merci.

 

Mia entre.

 

MIA : Ah Sara, c'est toi. Je dérange?

SARA : J'étais en train de partir.

MIA : Tu ne déranges pas, je passe juste poser cette nouvelle robe puis je repars acheter un cadeau. Juste le temps de dire à mon fils que je l'aime énormément. J'ai couru toute la journée et je n'ai pas eu le temps de le lui dire. Je l'aime tant que je pourrais exploser comme les ballons qui parfois explosent lorsqu'ils sont trop gonflés.

SARA : C'est agréable d'entendre ça, qu'une mère aime son enfant. C'est aussi un peu triste.

MIA : Qu'est ce qu'il y a de triste.

SARA : Bin, ce ballon qui explose.

 

Silence.

 

SARA : Je m'en vais. Je reviens cet après-midi.

MIA : Cet après-midi?

SARA : Pour la fête d'anniversaire! A tout à l'heure!

 

Sara s'en va.

 

MIA : Je ne lui ai même pas proposer à boire, il y a tellement peu de monde qui vient ici que j'ai oublié. Elle t'ennuie cette petite?

BRANKO : Non.

MIA : Qu'est ce qu'elle est chiante. Si tu veux je peux lui dire de ne pas venir à la fête.

BRANKO : C'est bon.

MIA : Elle est bizarre. Elle parle beaucoup, elle dit n'importe quoi, elle est vraiment bizarre.

BRANKO : On est tous différents.

 

Silence.

 

MIA : Ne me regarde pas comme ça. Dis-moi ce qu'il y a. Qu'est ce que j'ai dit maintenant? Je voulais juste te dire que si elle t'embête je peux la jeter de la maison.

BRANKO : Elle ne m'embête pas.

MIA : T'es sûr? J'ai rien contre, ne crois pas que j'ai quelque chose contre elle, je ne voudrais pas qu'elle t'énerve.

BRANKO : Je n'ai rien dit.

MIA : Si elle te plait, ça ne me pose pas de problème. Je veux dire que ça serait bien si t'avais une copine, mais ça ne doit pas être elle. Je sais comment tu les aimes, quels magazines tu achètes, il ne faut pas que tu sois timide, elles vont aussi finir par venir les filles comme ça. Dès que tu décideras de sortir un peu plus parmi les gens, tu en trouveras une comme ça, qui fait attention à ce qu'elle dit et à ce qu'elle fait.

 

Silence.

 

MIA : Si tu veux qu'elle me plaise, elle me plaira.

 

Silence.

 

MIA : C'est si difficile de parler avec toi.

BRANKO : Je n'ai rien dit.

MIA : Ce serait dommage si elle te gâchait ton vingt-cinquième anniversaire. Lorsque j'avais vingt-cinq ans... je ne me rappelle plus, c'était il y a longtemps. Et regarde-toi, tu as... un quart de siècle! C'est beaucoup. C'est énorme! Mais attends, on n'a pas fait une seule photo aujourd'hui! Il te faut un souvenir.

 

Mia court chercher l'appareil photo. Branko n'aime pas qu'on le photographie.

 

MIA : Je pourrais en prendre une à côté de la fenêtre? Allez, viens je vais t'aider à te mettre debout à côté de la fenêtre. tu peux te maintenir là-bas.

BRANKO : Je suis fatigué, maman.

MIA : Allez je vais t'aider. Ça va être une jolie photo, on va l'envoyer à la famille. Allez, debout.

BRANKO : Prends-moi comme ça.

MIA : Juste une photo à côté de la fenêtre puisqu'il fait si beau dehors! Tous les ans on te fait une photo à côté de la fenêtre. Ce serait dommage de ne pas continuer la tradition.

BRANKO : Je suis fatigué, maman.

Silence.

Mia prend une photo.

 

BRANKO : Je suis bien?

 

Mia regarde l'écran de l'appareil photo.

 

MIA : Pas génial. La lumière entre par là et on ne voit pas très bien. On en prendra une tout à l'heure quand tu seras assis sur le canapé en train de manger le gâteau, avec les gens autour, histoire que ça soit plus joyeux.

 

Mia s'assoit.

Ana entre.

 

ANA : Bonsoir.

 

Silence.

 

MIA : Ce n'est pas le soir encore, maman. Tu as faim? Je vais te réchauffer la soupe.

ANA : Je n'en veux pas.

MIA : Tu dois maman, tu dois.

 

Mia part.

 

ANA : Où ils sont tous?

BRANKO : Qui tous?

ANA : Tes amis?

BRANKO : Ils ne sont pas là.

ANA : Ils ont brûlé dans l'incendie?

BRANKO : Non, mamie. Je ne suis pas vieux.

ANA : Tu n’es pas vieux?!

BRANKO : Toi tu es vieille.

ANA : Alors, où ils sont, tes amis?

BRANKO : Moins il y a de monde autour de moi, mieux je marche.

ANA : J'ai encore oublié que tu ne marchais pas. C'est dommage; et ta mère qui t'a attendu pendant si longtemps le jour de l'accouchement.

 

Silence de deux personnes qui sont seules.

 

ANA : Il y avait un Viktor. Je t'en ai parlé?

BRANKO : Oui.

ANA : Ah oui? Je me rappelle vaguement de lui. Je ne sais pas si je l'aimais, mes souvenirs s'embrouillent. Il était doué pour... comment on dit... le truc dans le lit.

BRANKO : Je sais.

ANA : Il n'était pas beau, un peu moche même. Mais il savait en faire des choses au lit. Il avait les mains puissantes. Il me tenait dans ses mains tout le long.

BRANKO : Je sais, mamie. Tu m'as déjà raconté.

ANA : Oui, je t'ai raconté. Mais je ne me rappelle rien d'autre. Je me rappelle de ses mains puissantes et comment il me tenait avec... si je l'aimais? ou pas? J'ai tout oublié.

BRANKO : Tu l'aimais.

ANA : Tu crois?

BRANKO : Tu l'aimais beaucoup. Tu ne parles que de lui depuis que tu es tombée malade.

ANA : Qu'est ce que j’ai raconté d'autre sur lui?

BRANKO : Il t'emmenait en voyage.

ANA : En voyage? Où ça?

BRANKO : Autour du monde. Il t'achetait des fourrures, des bijoux. Il était riche.

ANA : Non?!

BRANKO : Si. Et tu l'aimais beaucoup.

ANA :Quel homme merveilleux ce Viktor.

BRANKO : Oui

ANA : Si seulement je ne l'avais pas oublié. Où est-il maintenant?

BRANKO : Mort.

ANA : Ah merde! J'ai beaucoup pleuré?

BRANKO : Je ne sais pas.

ANA : J'ai du pleurer quand même si j l'aimais autant. Ça m'a sûrement fait très mal. Heureusement que j'ai oublié.

BRANKO : Si seulement on pouvait oublier les anniversaires.

ANA : On peut. Mais ce sont les autres autour de nous qui foutent la merde, eux ils se souviennent.

BRANKO : Ils se souviennent.

 

Silence.

 

ANA : Branko, tu sais que je sais que tu me mens un peu?

BRANKO : Je sais, mamie.

ANA : Et tu sais que je sais qu'il ne m'a jamais emmené en voyage.

BRANKO : Je sais.

ANA : Et tu sais que je sais qui j'ai épousé même si Viktor était le seul que j'aimais.

BRANKO : Je sais.

ANA : Mais on fait un peu semblant, toi et moi.

BRANKO : Un peu.

ANA : Juste un peu pour qu'on se sente mieux.

 

Silence.

 

ANA : J'aimerais juste que tu tombes amoureux!

 

Mia entre et pose la soupe devant Ana.

BRANKO : Je vais prendre une douche.

MIA : Fais attention, ne glisse pas. Appelle si tu as besoin d'aide.

 

Branko part.

 

MIA : Mange, maman.

ANA : Je fais des économies.

MIA : Allez, s'il te plaît, tu n'as rien mangé. Personne ne mange rien ici. On est des humains, il faut qu'on mange. On est vivants, non?

 

Silence.

 

ANA : Dommage.

 

Silence.

 

MIA : Allez, s'il te plaît, mange maman. Au moins toi, mange quelque chose.

 

Mia s'enfuit.

 

ANA : Tu as éteint la cuisinière? Ne l'oublie pas, le feu peut prendre. Un incendie part si vite. Au diable les incendies et maudits feux, tout part en fumée.

 

Oliver entre.

 

OLIVER : Avec qui tu parles?

 

Ana regarde autour d'elle.

ANA : Qu'est-ce que ça peut te faire.

OLIVER : Il n'y a personne.

ANA : Tu vois mal.

OLIVER : Tu es têtue.

ANA : Et toi je t'emmerde.

OLIVER : Ne jure pas, s'il te plaît.

ANA : Je te chie dans le bec, con de ta race, enfoiré.

 

Silence.

 

OLIVER : Avant, tu ne jurais jamais autant.

ANA : Je ne sais pas. Je ne me rappelle plus.

OLIVER : Je me rappelle, moi.

ANA : Peut-être que tu ne m'entendais pas avant.

 

Silence.

 

ANA : J'oublie. C'est pour ça que je jure. Ils t'ont dit que j'étais malade, n'est-ce pas? J'oublie, donc j'ai oublié que je ne jurais pas auparavant.

OLIVER : Tu vois que tu peux parler gentiment avec moi.

ANA : Je peux quand je veux.

OLIVER : Où sont-ils, tous?

ANA : Ils sont partis.

OLIVER : Tu veux que je te serve de la soupe?

ANA : Je n'ai pas faim.

OLIVER : Allez, tu dois manger un peu de soupe. Elle est sûrement très bonne.

 

Oliver prend de la soupe dans la casserole avec une louche puis remplie l'assiette devant Ana.

ANA : Je n'ai pas faim. Je n'en veux pas.

 

Ana ne veut pas de soupe.

 

OLIVER : Tiens, elle n'est pas encore complètement froide.

 

Ana ne veut pas de soupe.

 

OLIVER : Je vais te donner avec la cuillère, petit à petit.

 

Ana ne veut pas de soupe.

 

OLIVER : Tiens, elle est devant toi, je ne dois pas te la donner avec la cuillère. Je te la pose là.

 

Ana essaie d'attraper la cuillère, mais n'y arrive pas.

 

OLIVER : Elle est là tiens... prends-là.

 

Ana prend la cuillère. Elle loupe l'assiette avec la soupe et se salit.

 

OLIVER : Donne.

ANA : Non.

OLIVER : T'en a renversée sur toi, donne, s'il te plaît.

ANA : Non!

OLIVER : Mais, tu renverses, attends...

ANA : Laisse-moi!

 

Ana pleure.

 

ANA : Rentre chez toi! Qui t'a dit de venir ici! Je sais manger de la soupe! Enfoiré, rentre chez toi! Laisse-moi! Je peux au moins manger toute seule!

 

Ana pleure.

Silence.

Oliver sort. En silence, pour ne pas qu'on le voit, pour ne pas qu'on l'entende.

ANA : Pourquoi tu te faufiles comme ça? J'oublie, mais je ne suis pas sourde ni aveugle.

OLIVER : Pour ne pas te bouleverser.

ANA : C'est une maladie, Oliver. Tu comprends ça, n'est-ce pas?

OLIVER : Oui.

ANA : Je sais que c'est difficile pour toi. Ce n’est pas facile pour moi non plus le fait que tu m'énerves autant, mais qu'est ce que j'y peux? Demain, je serais plus gentille.

OLIVER : On ne sait jamais.

ANA : Oliver, tu regrettes?

OLIVER : Que tu sois malade?

ANA : Non, d'être en vie?

OLIVER : Qu'est-ce que j’y peux?

 

Silence.

 

OLIVER : Je vais me promener dans le parc. Je reviens tout à l'heure.

ANA : Bien, vas te balader.

OLIVER : Tu as besoin de quelque chose?

ANA : C'est bizarre, mais même si je ne sais plus rien, ni que je sais ce que je savais, il me semble que je n'avais jamais entendu ce "tu as besoin de quelque chose" de toi.

OLIVER : Je ne me rappelle plus.

ANA : Tu ne te rappelles plus... Oliver, et qui est malade là?

OLIVER : J'y vais.

ANA : Vas. Vas-t'en.

 

Oliver s'en va.

 

ANA : Te voir t'en aller, je me souviens très bien de ça.

 

Mia entre. Elle porte une robe très habillée.

MIA : Tu as encore juré devant lui.

ANA : Un peu.

MIA : Ne sois pas désagréable comme ça avec lui, ça le blesse. Vous avez traversé tellement de choses ensemble, ce n'est pas juste.

ANA : Qu'est-ce qu'on a traversé ensemble?

MIA : Toutes ces années.

ANA : Je ne me les rappelle plus.

MIA : Tu ne peux pas les avoir toutes oubliées.

ANA : Peut-être qu'elles n'étaient pas importantes.

MIA : Maman, tu as passé toute ta vie avec lui!

ANA : Peut-être qu'elle n'était pas importante.

Silence.

 

MIA : Maintenant tais-toi un peu! Le médecin l'a dit aussi. Il faut se taire un peu. Les médecins l'ont dit. C'est bon pour la santé. Aujourd'hui c'est un de ces jours où t'oublies un peu plus, mais demain tu vas tout te rappeler. De toutes ces années et des beaux moments que tu as passés avec papa. Demain tu comprendras pourquoi tu es avec lui et non pas avec Viktor, Slavko, Ivan, Goran.

ANA : Il était terrible, cet incendie.

MIA : Demain, tu vas tout comprendre, maman. Maintenant tais-toi un peu.

 

Silence. Elles se taisent.

MIA : Et marche, maman. Marche.

 

Ana marche.

Robert entre.

ROBERT : Elle te va bien.

 

Silence.

MIA : Tu es revenu. Merci. Elle te plaît?

ROBERT : Oui.

MIA : Tu te rappelles quand tu m'as dit pour la première fois qu'une robe m'allait bien? Tu me l'as simplement dit et je t'ai entraîné derrière le garage. Qu'est-ce que tu veux, j'étais belle et stupide; il ne m'en fallait jamais beaucoup pour me séduire. C'était facile d'être jeune. On avait toute la vie devant nous. Tout semblait possible. Et à l'époque, on n'avait pas conscience qu'on n'obtiendrait rien de plus du futur et que ce futur serait tout notre passé.

ROBERT : Je t'aimais très fort.

 

Silence.

ROBERT : Je t'aime très fort.

MIA : Et moi je voudrais simplement que tu ailles avec moi acheter le cadeau.

ROBERT : J'ai trop de boulot.

MIA : Je suis angoissée. C'est l'anniversaire de notre petit.

ROBERT : Tour va bien se passer.

MIA : J'ai même pas fait le gâteau encore.

ROBERT : Tu as encore le temps.

MIA : Je ne sais pas comment être sa maman?

ROBERT : Mia...

MIA : Peut-être que j'ai moins envie de toi, mais j'ai bien plus besoin de toi. S'il te plaît, reste à côté de moi. Ne me laisse pas seule comme ça toute la journée. On tient le coup juste encore un peu et de nouveau le temps viendra où je n'aurai plus besoin de ton amour. Je ne suis pas avec toi pour être heureuse mais pour supporter plus facilement les malheurs de la vie.

 

Silence.

 

MIA : On s'aime ou on s'est aimé ou on va s'aimer, qui sait comment il faut le dire et comment ça se passe avec ces choses-là, mais, j'ai besoin de toi, j'ai eu besoin de toi et j'aurai besoin de toi. Comment vas-tu? C'est moi, Mia. Comment vas-tu? Dis-le moi...

ROBERT : J'ai mal au dos.

MIA : Je vais te faire un massage!

 

Robert s'assoit. Mia lui fait un massage. Et peut-être qu'elle est en train de le tuer. C'est difficile à dire.

 

MIA : C'est mieux?

ROBERT : Je ne sais pas. Ça me fait mal.

MIA : Par-là?

ROBERT : Je ne sais pas. Maintenant j'ai encore plus mal.

 

Mia le masse.

 

ANA : Je me suis souvenue de Viktor. Où est mon Viktor?

MIA : Il est mort, maman.

ANA : Viktor faisait des bons massages. Et il était bon au...

ANA : Je sais, maman, au lit.

ANA : Oui, au lit. Je l'aimais.

MIA : Je sais, maman. Laisse-nous tranquille.

ROBERT : Ça fait mal!

ANA : Et Nevio? Où est Nevio?

MIA : Mort aussi.

ANA : Et Goran?

MIA : Mort.

ANA : Et Slavko?

ROBERT : Ça fait mal!

MIA : Mort maman. Ils sont tous mort.

ANA : C'était un incendie ou quoi?

MIA : Non, maman. Tu es juste vieille.

(à Robert)

C'est mieux?

ROBERT : Ça fait mal!

MIA : Et maintenant?

ROBERT : Tu vas me blesser, tu appuies trop fort.

MIA : C'est comme ça qu'il faut faire. Il faut appuyer très fort.

ROBERT : Tu vas m'abîmer quelque chose.

ANA : Et Viktor? Tu es sûre qu'il est mort?

MIA : Mais non, je sais ce que je fais. C'est comme ça qu'on fait un massage! Je fais des massages comme ça à Branko, les médecins m'ont montré comment il faut faire!

ROBERT : J'ai encore plus mal maintenant! Arrête, s'il te plaît!

ANA : Peut-être qu'il n'est pas mort. Peut-être qu'il se cache seulement.

MIA : Ça va passer C'est mieux maintenant? Il faut appuyer fort, les médecins me l'ont dit!

ROBERT : J'ai mal.

ANA : Peut-être qu'il va se présenter un jour à la porte et on va comprendre qu'on s'est trompé. Que tout est un grand malentendu. Tous ces morts et ces incendies. Et tout ce qui naît. Et ce temps.

MIA : Maintenant? C'est mieux?

ROBERT : J'ai mal. Laisse-moi!

 

Mia le masse. Elle veut l'aider. A n moment on a l'impression qu'elle l'a tué.

On entend une explosion.

C'est un des ballons que Rita a apportés qui a explosé. On ne sait pas comment. Dès fois, ils explosent comme ça. Ils sont trop gonflés.

ANA : Eclaté.

 

Silence.

 

ROBERT : Je vais aller me promener dans le parc. Ouvrez les fenêtres pour laisser entrer un peu d'air.

Robert s'en va.

 

MIA : Tu es fatiguée maman?

ANA : Fatiguée de quoi?

MIA : D'avoir marché.

ANA : Non.

MIA : Si tu es fatiguée, assieds-toi.

 

Ana s'assoit immédiatement. Mia s'assoit à côté d'elle. Elles sont assises.

 

ANA : Les ballons, il faut les gonfler doucement, comme ça on ne se fatigue pas. Ensuite, il faut bien les attacher. Mais quand même, l'air sort petit à petit et ils se dégonflent après un certain temps. Je ne sais pas comment. S'ils ne se dégonflent pas ils éclatent. Voilà, je n’ai pas oublié ça.

 

Silence.

 

MIA : Tais-toi un peu, maman.

Silence. Elles se taisent.

 

MIA : Tu n'as encore rien mangé. Tu n'as pas faim?

ANA : Je fais des économies.

MIA : Tu n'aimes plus la soupe?

ANA : La soupe? Je ne sais pas.

MIA : Tu sais même pas qu'il y a la soupe à table.

ANA : J'en veux un peu.

MIA : C'est trop tard maintenant, elle est froide.

ANA : Je n’ai rien mangé.

MIA : Allez, je vais la réchauffer.

ANA : C'est une soupe à quoi?

MIA : Aux champignons.

ANA : Aux champignons?

MIA : Oui.

ANA : Je n'aime pas les champignons.

MIA : Tu les aimes, maman, tu les aimes.

ANA : Non, je ne les aime pas.

MIA : Si, tu as juste oublié.

ANA : J'aurais jamais oublié ça.

MIA : T'oublies le prénom de ton mari, t'aurais pu oublier que tu aimes la soupe aux champignon.

ANA : L'enfoiré.

MIA : Qu'est ce qu'il y a maintenant?

ANA : C'est le prénom de mon mari.

 

Silence.

 

MIA : Tais-toi, maman.

Ana se tait pour un moment.

 

ANA : J'aimerais juste qu'on tombe amoureux!

 


ACTE III

 

Mia est assise à table.

Doris entre. Elle allume la lumière. Doris semble prendre conscience de l'endroit qu'elle habite puis, fatiguée, elle s'assoit.

 

DORIS : Tu es encore dans la pénombre.

MIA : Je me repose.

DORIS : Ce n'est pas bien de rester dans la pénombre.

 

Silence.

 

DORIS : Où sont-ils, tous?

MIA : Envolés!

DORIS : Tu as pleuré?

 

Doris essuie les traces du maquillage étalé. Un instant on ne sait plus qui est la mère et qui est la fille dans cette situation.

 

MIA : Laisse, je vais le faire.

 

Silence.

 

MIA : Tu étais où, toi?

DORIS : Au café avec un mec.

MIA : C'est l'anniversaire de Branko, t'aurais pu passer un peu de temps avec lui, ce n'est pas facile pour lui tout seul comme ça. Tu ne réfléchis pas du tout avec ta jolie tête. J'étais comme ça aussi. La vie est belle pour toi, tu te fais plaisir, ça va toujours être facile pour toi.

DORIS : Il me plaît ce mec.

 

Silence.

 

DORIS : Il s'appelle Tin.

 

Silence.

 

DORIS : Il est très beau.

 

Silence.

Doris effleure avec le petit doigt d'une main la paume de l'autre main.

 

DORIS : On était assis en train de prendre un café et il m'a touché la main avec son petit doigt. Il l'a effleurée un court instant.

MIA : Qu'est ce que tu veux que je te dise?

DORIS : Je veux juste que tu essaies d'être un peu heureuse pour moi.

 

Silence.

 

MIA : De quelle couleur sont ses cheveux?

DORIS : Pardon?

 

Silence.

 

MIA : On va s'en sortir, tu sais? Il faut juste qu'on s'habitue encore un peu à cette maladie. Et après je pourrai être heureuse pour toi.

DORIS : Je sais. Je suis juste un peu triste. Je suis en train de tomber amoureuse, c'est pour ça. C'est normal, non? Comment ne pas avoir peur de quelque chose qui commence à peine? Qui sait ce qui va se passer après? C'est juste que lorsque quelque chose commence comme ça je pense à Branko, et ça me fait peur comment cette maladie est arrivée sans préavis. Elle n'a rien demandé à personne, elle est juste arrivée. Je n'arrive pas à comprendre ça, maman, pourquoi lui et pas quelqu'un d'autre, pourquoi la maladie a touché ces magnifiques grands yeux bleus. Comment savoir qui va encore être touché par la maladie, et comment choisir les personnes qui vont nous plaire et à qui quelque chose d'imprévue, quelque chose de terriblement inattendue pourrait aussi arriver et à quel point cela pourrait nous faire mal? Je sais que ce n'est ni l'heure, ni le jour, ni l'année pour en parler, mais voilà.

MIA : Ça ne fait rien. Tiens, je viens d'acheter cette robe et je suis heureuse, tout ça à cause d'une robe. Elle me va bien. Mihael m'a donné une réduction. Et un bon d'achat pour la prochaine fois. Ils ont même une cagnotte. Ça vient d'arriver. Peut-être que je vais même gagner un prix. Je vais me changer, pour ne pas salir ma robe. Il y a des choses qu'il faut préserver et utiliser avec modération. Les belles robes, l'amour, les larmes et le reste. Allez, vas rejoindre ton copain là. Vas prendre l'air.

 

Mia pousse Doris dehors. Il n'y a pas assez d'air pour toutes les deux.

 

DORIS : Mais, j'ai tellement de questions! Je veux encore savoir tellement de chose!

MIA : Allez, pars! Vas-t'en!

DORIS : Quand est-ce que tu pourras être de nouveau ma maman? Tu vas aller mieux? Maman? Maman!

MIA : Vas retrouver Tin, vas-t'en.

 

Mia ferme la porte derrière Doris.

Silence.

 

Rita ouvre la porte. Elle observe Mia.  Elles se regardent. Elles sont sœurs même si souvent elles l'oublient.

RITA : Salut.

MIA : Salut.

 

Silence.

 

MIA : Assieds-toi.

 

Les sœurs s'assoient.

RITA : Voilà, je suis arrivée plus tôt.

MIA : C'est gentil.

RITA : C'est comme ça. Tu as besoin d'aide?

MIA : Non, merci.

RITA : Je peux sortir les assiettes!

MIA : Il n'y a pas de gâteau encore.

RITA : Pas de gâteau?

MIA : J'ai jeté le premier. J'en prépare un autre maintenant.

RITA : Je voulais en ramener un, mais il fait beau dehors, il aurait fondu avec une belle journée pareille.

 

Mia et Rita sont assises en silence.

RITA : Mon chat va bien, il n'a pas de cancer.

MIA : Je suis désolée, j'avais oublié, je ne t'ai même pas demandé.

RITA : Ça ne fait rien. Il va bien. Je croyais qu'il allait crever, mais non. En février il va devenir fou de nouveau. Je n'aime pas le laisser sortir mais je suis bien obligée. Il faut le laisser sortir un peu qu'il se tappe d'autres chattes.

MIA : Et ton chien, comment va-t-il?

RITA : Bien. Il n'était pas content que le chat n'ait pas le cancer, mais voilà, il va s'habituer.

MIA : Ouais.

 

Silence.

MIA : Vous êtes venus comment?

RITA : En voiture. J'ai vu un accident, j'en tremble encore.

MIA : Des morts?

RITA : J'ai juste vu du sang, beaucoup de sang. Les voitures sont très rapides quand on y pense: avec leurs roues, elles peuvent aller très vite et elles ne sont pas sûres. Bon sang, mais qu'est-ce que peut tourner tout en étant sûr? La terre tourne et elle n'est pas sûre, il y a tout le temps des tremblements de terre. Avant, la terre était plate, les voitures n'existaient pas encore et tout était sûr.

MIA : Et ton mari est où?

RITA : Il est parti voir comment est le nouveau parc.

MIA : On l'a aménagé.

RITA : Tu l'as dit, oui. C'est bien qu'on l'ait aménagé.

MIA : Oui.

 

Silence.

 

RITA : C'est calme ici.

MIA : Ils sont partis s'allonger un peu avant la fête et Branko prend une douche.

RITA : Il peut la prendre seul?

MIA : Oui.

RITA : C'est bien ça. Parce que si en plus tu devais le tenir pendant la douche, tu perdrais trop de temps. C'est bien aussi que la porte de la salle de bain soit grande. C'est pratique qu'il puisse passer. Quand on y pense c'est vraiment pratique que vous habitiez une grande maison avec des grandes portes. Tu ne peux pas dormir?

MIA : Je n'ai plus de cachets.

RITA : Tu prends lesquels?

MIA : Valériane.

RITA : Ils ne sont pas biens. Je viens d'en découvrir des nouveaux, ça vient de sortir, je les ai réservés sur Internet. Ils viennent du Canada, ils sont superbes.

 

Rita ouvre son sac, une cascade de cachets en tombe.

MIA : Tout va bien avec Mihael?

RITA : Oui, ça va.

MIA : Je suis contente.

RITA : Ah...oui.

MIA : Vous allez bien ensemble. Jamais vous n'êtes allés aussi bien ensemble.

RITA : Il a grossi récemment, il mange beaucoup. Je lui dis "ne mange pas autant, petit cochon grassouillet" mais il ne m'écoute pas.

MIA : Ça fait bizarre de te voir mariée. On pensait tous que tu ne te marierais jamais.

RITA : Moi aussi. J'étais intelligente.

MIA : Et moche. Mais intelligente et talentueuse à la différence de moi.

RITA : J'aurais pu faire le tour du monde, tellement j'étais intelligente. Et j'étais aussi ambitieuse que moche.

MIA : Pourquoi tu t'es mariée alors?

RITA : Pourquoi je me suis mariée? Pourquoi tu me demandes ça? Dès fois le soir je regarde un film à la télé avec des momies, de méchants chinois , des zombies et j'ai peur. Puis je vais dans le lit et j'enlace très fort mon mari. Voilà pourquoi je me suis mariée.

MIA : À cause de méchants chinois ?

RITA : Je ne sais pas, c'était peut-être des japonais.

 

Silence.

 

MIA : Ton fils a appelé cet après-midi. Il a parlé avec Branko.

RITA : On lui a dit d'appeler.

MIA : C'était gentil de sa part. Il doit bien profiter lui.

RITA : Il profite, oui.

MIA : Il travaille dans une autre ville.

RITA : Il travaille, oui.

MIA : Il porte un costume et une cravate.

RITA : Il les porte, oui.

MIA : Et il marche.

 

Silence.

 

MIA : Branko marche aussi, juste un peu plus doucement.

 

Silence.

 

MIA : Il est bien mon petit. Et je ne lui ai même pas fait un gâteau.

 

Silence.

MIA : Et toi tu as un mari qui regarde les parcs. Tu as aussi un enfant qui profite bien de sa vie.

RITA : Hier soir, mon fils chéri m'a appelé. Il a eu une augmentation et des billets pour trois nouveaux voyages dans des pays lointains. Il est doué et ambitieux, comme moi. Il est si jeune et il a déjà visité tous les continents. Il m'a appelé pour me dire de bonnes nouvelles, et je ne savais pas quoi lui dire. Je ne sais pas pourquoi je me réjouis si peu de ses réussites.

MIA : Rita, il ne t'a pas oublié.

RITA : Je le sais. C'est moi qui l'oublie; et le problème, ce n'est pas que je l'oublie mais que ça me plaise de l'oublier. Il repasse les chemises mieux que moi. Petit crétin égoïste.

MIA : Il est gentil.

RITA : Je ne sais pas. Heureusement j'ai un chien et un chat. Ils sont plus petits et ils se réjouissent de te voir tant qu'il n'ont pas un cancer ou qu'ils sont en vie. L'oiseau aussi. Je crois que je vais en prendre un vert. Il existe aujourd'hui des cages solides. Je ne crois pas que le chat puisse le manger, et s'il le mange tant pis, j'en achèterai un bleu. Je n'ai jamais eu d'animal bleu. Je m'entends vraiment bien avec les animaux. Je crois que c'est parce qu'on ne parle pas là même langue.

MIA : Il faudrait que tu me donnes ces cachets du Canada.

RITA : Aucun problème. Je dépense beaucoup pour les médicaments. Si seulement je pouvais prier dieu et y croire, ce serait moins cher. Mais ça ne marche pas. Tu as essayé?

MIA : Ça ne m'a jamais convaincu.

Silence.

 

MIA : Tu sais ce qui m'aide?

RITA : Quoi?

MIA : Parfois, avant de me coucher, un peu, comme ça j'imagine que mon fils marche.

RITA : C'est bien. Moi aussi j'imagine parfois, comme ça des choses.

 

Silence.

 

RITA : Mon fils est pédé. Voilà, je l'ai dit.

 

Silence.

 

MIA : Tu vas bien?

RITA : Oui. Ce n'est pas facile d'être homosexuel.

MIA : C'est vrai.

RITA : D'un autre côté, je me dis que lui, il n'est pas complètement fou.

 

Silence.

 

MIA : Mihael?

RITA : Je ne lui ai pas encore dit. J'attends que quelque chose me fâche et alors je lui crierai "ton fils est pédé, ton fils est pédé!" Peut-être qu'il aura un malaise et en mourra, on ne sait jamais.

 

Silence.

 

MIA : On ne peut rien savoir.

RITA : Rien.

 

Les deux sœurs se comprennent.

Ana entre. Elle cherche quelque chose.

 

ANA : Je ne sais pas où est la fourrure que Viktor m'a achetée.

RITA : Il ne t'a pas acheté de fourrure.

ANA : Si. Branko me l'a dit. Et il m'a emmené en voyage.

RITA : Arrête, maman. Viens que je t'embrasse.

 

Rita embrasse sa mère.

 

ANA : Où est-t-il maintenant, Viktor?

MIA : Mort.

ANA : Mort? Mort. J'étais triste?

MIA : Seulement longtemps après, quand tu l'as su. Tu disais que tu l'avais quitté.

ANA : Quitté? Pourquoi?

RITA : Tu t'es remise avec papa.

ANA : Pourquoi j'aurais fait ça? Je n'aimais pas papa.

MIA : On ne sait pas, maman.

ANA : Pourquoi j'aurais fait ça? Viktor était le seul que j'aimais.

MIA : On ne sait pas maman.

ANA : Vous mentez, petites salopes, vous mentez. Et je vous ai tout donné!

MIA : Calme-toi, maman.

ANA : Vous mentez, petites salopes, vous mentez!

RITA : Ferme-la ta gueule, maman. Tu parles tout le temps de ce Viktor depuis que tu es tombée malade. Arrête! S'il n'était pas mort, tu crois que ça serait de l'amour!? Où est l'amour? Où est-ce qu'il habite? Amooouur!? Où es-tu? Amooouur? Amooouuur!? Je ne l'ai vu qu'à la télé. Il a duré 180 épisodes et c'était fini après. Le mariage des personnages principaux et paf! plus rien, fin du programme. Arrête enfin de parler de cet amour, maman.

 

Silence.

 

ANA : J'aimerais juste qu'on tombe amoureux!

 

Oliver entre.

 

ANA : L'enfoiré.

 

Ana part, Rita la suit.

 

OLIVER : Qu'est-ce qu'il s'est passé?

MIA : Maman a encore parlé de Viktor.

 

Silence.

 

OLIVER : Vous avez besoin d'aide?

MIA : On se débrouille.

 

Silence.

 

MIA : Tu regrettes papa, maintenant que tu es tout vieux avec un pied dans la tombe, tu regrettes de t'être marié et d'avoir créé tout ça autour de nous?

 

Silence.

 

MIA : C'était une question papa. Tu regrettes tout ce que tu as fait? Tu regrettes de t'être marié avec maman? Maintenant quand elle est toute malade comme ça.

OLIVER : Je suis vieux, je ne sais pas.

 

Silence.

 

MIA : Allez, tu peux me dire. Tu es vieux, tu vas bientôt mourir. Je ne vais le répéter à personne ce que tu me dis. Dis-le moi, papa. Tu regrettes d'avoir fondé une famille maintenant que tu es vieux et que tu vas bientôt mourir? Est-ce qu'on représente encore quelque chose pour toi, nous, les coquilles vides, puantes et moches qui t'entourons ? Est-ce que ça signifie encore quelque chose lorsqu'on est déjà vieux et presque mort.

OLIVER : Qu'est-ce que tu me veux?

MIA : Dis-moi juste si ça vaut le coup!? Est ce que tout ça vaut le coup, papa?! Le fait que je pleure à cause de Branko, le fait que ça me fasse mal? Est-ce qu'il faut le vivre ou il ne faut pas prêter autant d'attention à la douleur? On va tous mourir, comme toi. Tu es déjà très vieux, presque mort, peut-être que tu es déjà mort, mais tu ne l'as encore dit à personne, et moi j'ai rien pu apprendre de toi toutes ces années. Et puis tu vas mourir et je ne vais rien savoir. Est-ce que ça vaut le coup de vivre, papa?

 

Silence.

Un long silence. Puis Oliver hausse les épaules. Il ne sait pas. Ou il ne veut pas le dire. Certains secrets ne peuvent pas se dire.

Mia le prend par les épaules. Elle touche les épaules de son père sur lesquels, il y a longtemps, il l'avait portée.

 

MIA : Voilà, au moins je t'ai touché.

 

Silence.

 

MIA : Je vais te trouver une cravate pour la fête.

OLIVER : C'est l'anniversaire d'un jeune, vingt-cinq ans.

MIA : Peut importe. On y va...

 

Mia et Oliver partent.

Branko entre. Il regarde le lieu où il vit.

Ana arrive à côté de lui. Elle a un peu pleuré.

ANA : Je ne peux pas trouver la fourrure que Viktor m'avait achetée.

BRANKO : Peut-être qu'elle est dans le grenier.

ANA : On n'a pas de grenier.

BRANKO : On n'a pas de grenier.

 

Silence.

 

ANA : Oui, elle doit être dans le grenier.

 

Silence.

ANA : Tout à l'heure je me suis encore souvenue de tout.

BRANKO : De quoi?

ANA : Il n'y avait pas de Viktor.

 

Silence.

 

BRANKO : Tu t'es mal souvenue. Ne pense pas à ça. Tu parles uniquement de Viktor depuis que tu es tombée malade. Comment est-ce possible qu'il n'y ait pas eu de Viktor, mamie?

ANA : Il n'y a jamais eu de Viktor. J'ai tout inventé.

 

Silence.

 

ANA : Il n'y a pas de Viktor. Il n'y en a pas. J'avais une vie ennuyeuse, ce n'est pas étonnant que je l'aie oubliée. Cette vie avançait et avançait sans cesse, et moi je pensais que quelque chose allait finir par arriver, mais rien n'est jamais arrivé puis j'ai inventé ce que j'ai inventé. J'ai menti un peu, puis quand j'ai tout oublié, je me souvenais seulement des mensonges. Puisque ce que j'avais inventé était le plus beau.

 

Silence.

 

ANA : Et Branko... Ne le dis pas à Oliver.

 

Ana s'en va.

Mia entre.

 

MIA : Qu'est-ce qu'il y a?

BRANKO : Rien. C'est mamie...

MIA : Aujourd'hui c'est une journée difficile pour elle.

BRANKO : Je suppose, oui.

MIA : Je voulais te dire que si tu voulais me parler de quelque chose, tu pouvais. Je vais... bien. Je peux l'entendre. Je voulais juste te dire ça que tu le saches. Si tu as besoin...voilà. Je t'aime.

 

Silence.

 

MIA : Je ne t'ai toujours pas acheté de cadeau. Je ne sais plus ce que tu veux. Tu a grandi. Ta barbe pousse tellement vite aussi, il faut que tu te rases tous les jours. Je vais peut-être t'acheter un rasoir électrique ou quelque chose comme ça. J'aime quand ton visage est tout doux comme les fesses d'un bébé.

BRANKO : Tu m'as déjà assez acheté de choses.

MIA : Ne dis pas de bêtises, ça nous fait plaisir de dépenser pour toi. Dis-moi, qu'est-ce que tu voudrais?

BRANKO : Rien.

MIA : Allez, ne sois pas modeste! Tu es trop modeste, à un point que c'en est énervant. C'est ton anniversaire. Il faut que je t'achète un cadeau! Il faut que j'y aille avant la fermeture des magasins, c'est dans très peu de temps. Tu veux venir avec moi? Choisir quelque chose toi-même?

BRANKO : Tu sais que je ne peux pas avancer rapidement, tu vas être pressée, les magasins ferment dans une demi-heure.

 

Silence.

 

MIA : Je ne sais pas si je vais avoir assez d'assiettes pour le gâteau. Sara vient?

BRANKO : Oui.

MIA : Peut-être qu'elle ne voudra pas de gâteau. Si elle en veut on la servira dans une assiette en plastique.

BRANKO : Sara m'aime.

 

Silence.

 

MIA : Bon alors c'est moi qui pourrais manger dans une assiette en plastique.

 

Silence.

 

BRANKO : Je ne l'aime pas.

MIA : Alors, on n'aura pas besoin d'assiettes en plastique, ça ne sert à rien de tout mélanger.

BRANKO : Je ne l'aime pas, mais elle m'aime et ce n'est pas grave.

MIA : Qu'est-ce que tu racontes?

BRANKO : Il faut que je vive un peu cette vie maman.

MIA : Tu mérites mieux qu'elle! Beaucoup mieux!

 

Ils se taisent.

 

MIA : Ne me regarde pas comme ça.

 

Silence.

 

BRANKO : Maman, je suis désolé de ne pas pouvoir marcher.

 

Silence.

BRANKO : Je ne marche pas, je ne marcherais plus jamais et c'est comme ça. C'est très simple, n'est-ce pas?

 

Silence.

 

MIA : Je suis comme ça juste parce que je suis ta maman! Quand tu es malade, je suis malade, mais je souffre plus car à la différence de toi, moi, je marche.

BRANKO : Je sais.

MIA : Mais je vais beaucoup mieux, crois-moi. Aujourd'hui par exemple je n'ai pas trop pleuré. Et je ne dis plus aux voisins que tu marches juste un peu plus lentement! Tu vois, à quel point je vais mieux! Ce matin, je faisais des courses et j'ai dit que c'était ton anniversaire, et le vendeur m'a demandé comment tu allais, et moi je lui ai répondu que tu allais bien. Que tu ne marches pas du tout, mais que tu vas bien! Que tu ne marches plus juste un peu plus lentement mais que tu ne marches plus tout court. Il a compati, et moi j'étais fière d'avoir pu dire ça. Tu ne marches pas, tu roules!

BRANKO : Maman...

MIA : Quoi?! Tu voulais que je dise ça depuis que tu es tombé malade! Voilà, maintenant je le dis. Tu ne peux pas marcher! Mon fils ne marche pas! Ses jambes ne fonctionnent pas! Il ne marchera jamais! Et je peux le dire! Voilà, je l'ai dit!

 

Silence.

 

MIA : Excuse-moi.

 

Silence.

 

BRANKO : Ce n'est rien, maman. Parlons de quelque chose de beau. Raconte-moi mon deuxième anniversaire, quand j'ai commencé à marcher.

MIA : Tu étais un beau bébé, vraiment beau. Tu as fait tes premiers pas là-bas, à côté du frigo. Au début tu tombais tout le temps, mais tu te relevais rapidement. Je te tenais un peu puis je te relâchais et dès que tu comprenais que je ne te tenais plus, tu tombais. Petit à petit tu ne tombais plus, et moi je ne devais plus te tenir. Depuis, tu as couru le plus loin possible de moi.

BRANKO : Et mon vingtième anniversaire?

MIA : Je t'ai emmené en boîte. Tout le monde t'as regardé bizarrement quand tu essayais de danser; je voulais que tu sois comme tous les autres. J'ai même dansé avec toi.

BRANKO : Et le gâteau avec les amandes?

MIA : Le gâteau amer. Les amandes devaient être amères. J’étais tellement peu sûre de moi que je voulais m'enfuir. Je ne savais pas si mon gâteau était vraiment amer. Lorsque j'ai voulu le goûter de nouveau il n'y en avait plus, tu l'avais tout mangé. Tu m'aimais à ce point là.

 

Silence.

 

MIA : Je sais que je dois me détacher. Je le sais.

BRANKO : Doucement, maman. Chaque chose en son temps. J'aime ma vie il faut me croire. Et je m'aime comme ça, au moins je sais que je suis en vie. J'aime aussi que Sara m'aime et pour l'instant c'est tout ce qu'il me faut.

 

Silence.

Mia est incapable de dire quoi que ce soit.

Silence.

Mia prend l'appareil photo et prend des photos de Branko.

 

BRANKO : Je suis bien? Fais voir!

MIA : Oui. C'est une belle photo.

 

Oliver, Rita et Ana entrent.

 

OLIVER : Ca fait trente ans que je n’avais pas porté cette cravate!

RITA : Ca revient à la mode, je l'ai vu dans les magazines.

OLIVER : Je suis ridicule avec.

RITA : Maman, dis-lui qu'il est bien avec!

ANA : C'est à moi que tu parles?

RITA : Oui. Comment tu le trouves papa?

ANA : Bien.

RITA : Tu vois!

OLIVER : Si tu le dis...

ANA : Tais-toi enfoiré!

 

Robert entre.

ROBERT : Vous m'avez réveillé.

 

Doris et Sara entrent.

 

DORIS : Il y a déjà plein de monde ici. Je croyais être en retard, il fait tellement beau dehors.

SARA : C'est une journée vraiment ensoleillée! Bonjour, tout le monde!

MIA : Oh, je suis vraiment tête en l'air, je n'ai encore rien fait, le temps a passé si vite! Allez, on va préparer la fête, notre Branko a vingt-cinq ans!

DORIS : Ca fait beaucoup pour mon frérot, beaucoup d'années!

 

Tout le monde se met à la tâche, ils se dispersent dans la maison. Ils font tous un effort pour arranger au mieux et masquer la décrépitude des lieux.

ROBERT : Mia, il faut que je te dise quelque chose.

MIA: Quoi?

ROBERT : Je n'ai plus mal au dos.

 

Mihael entre et s'approche de Rita.

Rita s'écrie.

Tout le monde arrête de nettoyer la maison décrépie.

 

RITA : Mon chat a crevé, quel salopard. Mon chat a crevé, l'enfoiré. Et on dit qu'ils ont neuf vies! Peut-être qu'il les a eues, peut être qu'il crevait doucement et qu'on ne s'en était pas rendu compte. Mort! Et je lui ai tout donné. Je lui ai changé la litière remplie de pipi, je lui ai donné des protéines et toutes les autres choses coûteuses et lui, il crève. L'enfoiré, il ne m'a pas attendu: comme ça subitement; et il prend Mihael comme messager. Où est-ce que ça mène tout ça, on va tous crever, on crève tous!

MIHAEL : Il voulait t'attendre.

RITA : S'il le voulait, il aurait pu, con de chat!

 

Silence.

RITA : Bon! Maintenant il faut enterrer le chat et acheter l'oiseau vert. Ou peut-être un hamster? Ca vit combien de temps un hamster? Il mange quoi, il aime quoi et bien sûr, combien il coûte?

MIHAEL : Je crois qu'il vit juste quelques années.

RITA : Ca va suffire. On va réfléchir jusqu'à demain matin. C'est dommage qu'on ne peut pas acheter des papillons! Les petits crétins intelligents vivent juste un jour! Mais un jour ou cent jours, on crève tous à la fin.

 

Silence.

 

MIA : En attendant, on peut faire une photo. Robert, on en fait une avec la famille.

 

Mia donne l'appareil photo à Mihael. Mia enlace Branko qui est dans le fauteuil, Robert enlace Mia ; Mia regarde autour d'elle, comme s'il manquait quelque chose, puis elle remarque Doris.

 

MIA : Viens, Doris!

 

Doris arrive et Mihael prend la photo.

MIA : Comment est-elle?

MIHAEL : Je n'ai pas réussi à vous prendre en entiers mais elle est bien.

MIA : Elle est bien.

 

Mia regarde à l'écran de l'appareil photo.

Les autres essaient de faire le maximum pour que la maison décrépie ait l'air un peu mieux.

 


ACTE IV

 

Sara, Branko, Tin et Doris sont assis en train de boire un verre. La maison décrépie est décorée avec des ballons. La fête est finie.

BRANKO : Tu as quel âge, Tin?

TIN : Vingt-huit.

DORIS : C'était ton anniversaire le mois dernier, n'est-ce pas?

TIN : Oui.

SARA : Oui, je l'ai vu sur Facebook. Tu as vraiment plein d'amis. Tu n'as pas mis de photos, tu as fait une fête?

TIN : Oui. Dans le bar, là, en bas de la rue. J'étais bourré comme jamais ce soir. C'était horrible, j'ai vomi toute la journée et la journée d'après... eh, vous voulez aller dans le bar, il est encore ouvert, et même si c'est fermé, je connais le proprio, il peut nous ouvrir.

SARA : On pourrait y aller.

DORIS : Mais non, on est mieux ici!

TIN : D'accord.

Silence.

 

SARA : C'est génial de la part de tes parents d'être partis se coucher à minuit et de nous laisser seuls.

TIN : Ils sont sympas.

DORIS : Je parie que maman nous écoute, cachée quelque part. Chhhhuuut !

 

Doris se lève et regarde tout autour d'elle si sa mère se cache quelque part dans la maison.

Elle regarde derrière la porte.

Elle regarde sous le canapé.

Elle regarde derrière le frigo.

DORIS : Elle n'est pas là!

 

Silence.

 

SARA : Quelqu'un veut boire encore quelque chose?

TIN : Vos parents ont un super goût pour l'alcool.

SARA : Alors, un whisky?

TIN : Le même, oui.

 

Doris et Sara servent les boissons.

TIN : Ton fauteuil c'est du solide, hein?

BRANKO : Oui, il est bien. Relativement neuf.

TIN : J'ai un pote comme ça, en fauteuil, ça coût super cher ce truc.

BRANKO : Oui, grave.

TIN : Mais il est bien. Il a de la gueule. Fais voir, attends... je peux?

 

Tin pousse un peu le fauteuil de Branko.

 

TIN : Il roule bien.

DORIS : Allez, Tin, arrête.

TIN : Quoi?

BRANKO : Les pneus sont de bonne qualité. Il n'est pas difficile à diriger.

TIN : Oui, il est vraiment bien.

SARA : Eh, vous savez de quoi on a besoin?

 

Doris lui jette un regard douteux.

 

SARA : Un peu de musique! Je peux?

DORIS : Mets ce que tu veux.

Sara va mettre la music.

 

TIN : C'est bien ça, laisse!

 

Sara revient et s'assoit sur Branko. Tin se lève et tend la main à Doris pour l'inviter à danser.

 

DORIS : Oh non, s'il te plaît.

TIN : Allez, qu'est-ce qu'il y a?

DORIS : Je ne sais pas...

BRANKO : Allez, tu adores danser, et maintenant quand ton copain te demande tu ne veux pas.

 

Doris est gênée.

 

DORIS : Oh, arrêtez, s'il vous plait.

 

TIN : Ne fais pas ta timide! Allez...

Doris est gênée, mais elle se lève et se met à danser.

 

DORIS : Juste un peu alors.

 

Doris et Tin dansent.

Sara et Branko les regardent.

Silence.

Sara se lève des genoux de Branko et le prend par les mains. Branko se lève. Sara le prend dans ses bras fermement, longuement.

Dans les bras l'un de l'autre.

Musique.

 

FIN